mercredi 27 novembre 2013

Ainsi résonne l'écho infini des montagnes - Khaled Hosseini



Exercice difficile que de parler du dernier roman de Khaled Hosseini tant il est riche. Une foison de personnages, de lieux, de thèmes caractérisent ce grand roman-puzzle à la construction originale et intelligente.
Ainsi résonne l’écho infini des montagnes nous raconte l’histoire de 3 enfants demi-frères et sœurs séparés très tôt. On suit le destin de chacun tout au long de leur vie mais à travers l’histoire de personnages tiers.
Le roman s’ouvre sur un conte afghan qui annonce les événements à venir. Suivent ensuite 5 parties toutes relatives à l’histoire d’un personnage particulier par le biais duquel Khaled Hosseini nous offre des informations sur nos protagonistes principaux.
C’est donc à l’image de la vie de Pari et Abdallah, deux frères et sœurs très tôt arrachés l’un à l’autre, que Khaled Hosseini construit et ordonne son récit.

« Mais c’est important de connaître tes racines et l’endroit où tu as commencé à exister en tant qu’être humain. Sinon, ta vie paraît irréelle. Pareille à un puzzle. Tu comprends ? Comme si, après avoir raté le début d’une histoire, tu te retrouvais soudain au milieu, à essayer de tout démêler.
  J’imagine que c’est ce que ressent Baba ces jours-ci. Une vie parsemée de trous. Tous les jours une histoire déroutante, un puzzle à reconstituer à grand-peine. »

Donc petit conseil : ne vous attachez pas dès le début aux personnages. C’est l’erreur que j’ai commise influencée par ma lecture récente des Cerfs-volants de Kaboul. Je m’attendais à une narration d’un genre identique où l’on suit un même personnage tout au long du roman. Mais ici Khaled Hosseini a procédé tout autrement.

On voyage ainsi en Afghanistan bien sûr mais aussi aux Etats-Unis, en Inde, en Grèce, en France. Et derrière ce semblant de diversité, les mêmes préoccupations, les mêmes thèmes de réflexion reviennent, abordés tour à tour sous un angle différent.
Tout comme dans Les cerfs-volants de Kaboul, on retrouve le thème des relations fraternelles : de l’attachement avec Abdallah et Pari mais aussi de la jalousie comme l’illustrent les rapports entre Parwana et Masooma ou encore les deux cousins Timur et Idris.
Les rapports enfants-parents sont aussi développés comme avec Adel et son père ou encore Pari et ses parents.

Mais le thème qui m’a le plus marquée est celui du handicap. Qu’il soit causé par accident comme c’est le cas de Masooma et de Thalia ou par la vieillesse et la maladie comme Abdallah et Suleiman, Khaled Hosseini étudie l’impact du handicap sur les mentalités, les comportements humains et montre quelles sont les différentes réactions possibles. Là encore, on se rend compte que quelque soit l’attitude adoptée par les personnages concernés, aucune ligne de conduite ne peut être jugée ou condamnée, qu’ils choisissent le sacrifice comme Nabi et Pari ou la fuite à l’instar de Parwana et Markos.

« Devant la tendresse et la légère panique perceptibles dans ses paroles, j’ai compris que mon père était quelqu’un de blessé, que son amour était aussi vrai, aussi vaste et immuable que le ciel, et aussi que cela pèserait toujours sur moi. C’était le genre d’amour qui tôt ou tard vous obligeait à faire un choix : soit on s’arrachait à lui pour être libre, soit on restait et on supportait sa dureté alors même qu’il cherchait à vous faire entrer de force dans une case trop petite pour vous. »

Ce roman est donc une véritable merveille. Khaled Hosseini m’a vraiment impressionnée. Il démontre tout son talent de conteur, d’observateur des comportements, d’analyste des relations humaines. Là encore, il nous raconte son pays d’origine, les mentalités du peuple afghan et , cette fois, évoque la toute puissance des narco-trafiquants : les nouveaux seigneurs exerçant grâce à leur fortune leur emprise sur les régions rurales du pays.
Il parvient à retranscrire des atmosphères aussi diverses soient-elles, fait passer des émotions, étudie de façon simple mais minutieuse les travers de l’homme et notamment, comme dans Les cerfs-volants de Kaboul, la lâcheté. Les personnages sont nombreux mais, pour tous, leur psychologie est travaillée dans le détail. Il n’y a rien de superflu. En peu de mots, Khaled Hosseini réussit à dire et transmettre beaucoup de choses. Il nous fait entrer dans la tête des personnages, nous fait partager leurs pensées, leur façon de raisonner. Ce qui fait qu'on comprend parfaitement leur comportement et qu'on ne peut les juger.
Il multiplie aussi les procédés narratifs, tantôt narration à la 3ème personne, tantôt à la première, narration épistolaire, extrait d'interviews. Et malgré toute cette variété, le lecteur ne s'y perd jamais car tout est lié, que le lien soit un personnage, un événement, une photo. Les ponts entre chaque récit sont nombreux, logiques. L'ensemble forme un tout cohérent sans aucune fausse note.
Même si les émotions ont été pour moi moins fortes que lors de ma lecture des Cerfs-volants, la construction, la richesse et la maîtrise de ce dernier roman sont remarquables.

J’aurais encore beaucoup de choses à dire, beaucoup d’extraits à présenter mais l’éternelle peur du spoiler me fait m’arrêter ici. Je ne peux que vous conseiller très chaudement la lecture de ce très grand roman. Je suis contente d’avoir encore Mille soleils splendides à lire même si je pense que j’aurai du mal à en retarder davantage la lecture. Khaled Hosseini publie au compte-gouttes et il me faudra m’armer de patience une fois ses trois romans engloutis. Mais comme chacun sait, ce sont les choses les plus rares les plus précieuses.

Un immense merci à Elsa de la société Athomédia et aux éditions Belfond pour leur intérêt, leur confiance et pour m’avoir permis ce sublime voyage autour du monde et dans les tréfonds de l’âme humaine.

La nuit des temps - René Barjavel



4ème de couverture :

Dans l'immense paysage gelé, les membres des Expéditions Polaires françaises font un relevé du relief sous-glaciaire. Un incroyable phénomène se produit : les appareils sondeurs enregistrent un signal. Il y a un émetteur sous la glace... Que vont découvrir les savants et les techniciens venus du monde entier qui creusent la glace à la rencontre du mystère ? La nuit des temps, c'est à la fois un reportage, une épopée mêlant présent et futur, et un grand chant d'amour passionné. Traversant le drame universel comme un trait de feu, le destin d'Elea et de Païkan les emmène vers le grand mythe des amants légendaires.

Mon avis :

Elu dans le cadre de mon club de lecture pour le mois de novembre, je dois avouer que notre choix n’a pas été des plus inspirés, en tout cas en ce qui me concerne.
Comment dire ?
La nuit des temps de Barjavel, c’est un peu le roman qu’aurait pu écrire le fils écrivain né d’une improbable union entre Mickaël Crichton et Barbara Cartland.
Soyons clairs, je n’ai rien contre Mickaël Crichton. Il était d’ailleurs un de mes auteurs de chevet pendant mon adolescence. Ses intrigues sont toujours originales, il y a de l’action, bref j’aimais beaucoup. Mais Mickaël Crichton écrit surtout pour le cinéma. Tous ses romans ( ou quasiment tous) ont été adaptés au cinéma. Et c’est également le cas de La nuit des temps originellement prévu pour être porté à l’écran.

Selon moi, le roman se compose de trois parties :
-         la découverte de l’équipe d’exploration en Antarctique
-         l’histoire d’Eléa et Païkan
-         le réveil du compagnon d’Eléa

L’idée sur laquelle repose l’intrigue n’est pas nouvelle mais suscite toujours l’intérêt et la curiosité, j’ai d’ailleurs englouti la première partie du roman d’une seule traite ( c’est la partie plus « Crichton »). Mais alors ensuite … au secours ! Barbara prend le relais, le roman prend des tournures de roman Harlequin, ça sent la guimauve, les scènes et le style sont niais au possible. J’ai même failli en rester là. C’est un véritable gâchis.

 Un petit extrait pour vous régaler :

« Il délivra l’autre sein et le serra tendrement, puis défit le vêtement de hanches. Sa main coula le long des hanches, le long des cuisses, et toutes les pentes la ramenaient au même point, à la pointe de la courte forêt d’or, à la naissance de la vallée fermée. »

C’est chouette hein ? Je sens que vous aimez ça alors je continue :

« Eléa résistait au désir de s’ouvrir. C’était la dernière fois. Il fallait éterniser chaque impatience et chaque délivrance. Elle s’entrouvrit juste pour laisser la place à la main de se glisser, de chercher, de trouver, à la pointe de la pointe et de la vallée, au confluent de toutes les pentes, protégé, caché, couvert, ah ! … découvert ! Le centre brûlant de ses joies. »

L’émotion ne passe même pas, les personnages sont creux, insipides, l’auteur ne s’attarde que sur leur aspect physique ( et en devient lassant), la psychologie n’est pas détaillée.
Le monde imaginé par Barjavel aurait pu être intéressant mais là encore aucune profondeur. Des questions intéressantes auraient pu être soulevées et susciter la réflexion si elles avaient été bien amenées mais ce n’est pas le cas. Et je ne compte pas non plus le nombre d’incohérences qui parsèment le récit. J’ai une sensation de bâclé, ça fait vraiment pas travaillé.
Bref tout ce qui aurait pu sauver ce livre a été négligé au profit de cette fichue histoire d’amour qui n’a aucun intérêt.

Et puis ça fleure bon les années 60, contestations étudiantes, malaise de la société, libération sexuelle, les vilains occidentaux capitalistes contre les méchants russes communistes, peur de la guerre totale, en résumé un monde «  futuriste » qui sent trop la naphtaline. Ça passe bien chez un Philip K. Dick mais pas chez Barjavel.

Bon peut-être que j’aurais plus adhéré si j’avais lu ce livre il y a 20 ans mais là désolée, ce n’est vraiment plus ma « came ».
A la rigueur, sur le même sujet, peut-être me pencherai-je sur La sphère d’or, roman de l’australien Erle Cox qui aurait inspiré Barjavel ( on parle même de plagiat) et je serai curieuse de voir comment il a traité le sujet.



mercredi 13 novembre 2013

Le Grand Coeur - Jean-Christophe Rufin



J’ai beau avoir fait des études d’histoire, je ne vous cache pas que j’ai encore de grossières lacunes sur quelques points de l’histoire de notre beau pays, quelques zones troubles que je n’ai pas toujours le courage ni la motivation d’éclaircir. Alors quand je tombe sur un roman historique qui se charge de faire une bonne partie du travail pour moi, je saisis l’occasion. Et quand le dit roman est en plus un excellent roman alors je me régale.

Je n’avais encore rien lu de Jean-Christophe Rufin. Le personnage dont il a choisi de faire le sujet de son roman était pour moi assez flou. Je savais que Jacques Cœur avait été un grand marchand de la fin du Moyen-Age et qu’il s’était considérablement enrichi mais mes connaissances s’arrêtaient là.

Jean-Christophe Rufin a su faire de cette biographie romancée une œuvre très documentée qui nous renseigne non seulement sur son sujet principal mais sur toute une période.
Jacques Cœur a vécu sous le règne de Charles VII, nous sommes donc à la fin de la guerre de Cent ans. Le monde féodal, celui des grands princes, des seigneuries, de la chevalerie s’efface pour laisser place aux prémisses du monde moderne et de la Renaissance. Le personnage de Jacques Cœur illustre parfaitement cette transition entre ces deux grandes périodes. Il incarne l’homme nouveau, le bourgeois qui peut s’élever jusqu’aux plus hautes sphères de la société et même du pouvoir par sa seule valeur, sa seule intelligence, son seul travail et non plus grâce à sa naissance et la renommée de sa famille. Il voyage beaucoup et ouvre la France sur le monde grâce au réseau constitué par son entreprise commerciale. C’est de ses voyages qu’il rapporte son goût pour les arts et qu’il introduit la pratique du mécénat. Le palais qu’il fait édifier à Bourges représente parfaitement la liaison architecturale entre Moyen-Age et Renaissance.


Palais de Bourges façade Renaissance 
Palais de Bourges façade médiévale

     











De même, Charles VII annonce ce que sera le roi moderne, entouré de conseillés choisis pour leurs compétences, et de favorites officielles comme le sera Agnès Sorel.

Agnès Sorel par Jean Fouquet

Jean-Christophe Rufin a choisi de présenter son roman sous la forme des Mémoires de Jacques Cœur. Le texte est donc rédigé à la première personne et alterne entre les instants auxquels Jacques écrit et ses souvenirs.

« Je pensais à l’Hadrien des « Mémoires » et je commençai à prendre des notes en vue d’une œuvre de la même inspiration que celle de Marguerite Yourcenar, sans prétendre égaler son génie. »

L’auteur précise bien dans une postface qu’il a rigoureusement respecté les événements de la vie de Jacques Cœur se contentant de romancer la vie privée et intime de Jacques, ses pensées, ses amours …
Le contexte politique, économique, diplomatique est scrupuleusement respecté et comme je l’ai dit très bien décrit et analysé. L’auteur montre bien la place périlleuse de Jacques coincé entre la politique et le commerce, l’un n’étant pas toujours en faveur de l’autre. Mais Jacques a fait les choix nécessaires pour redresser le pays, en faire un royaume riche et unifié, doté d’une armée de métier moderne. Il a consacré sa vie à cette tâche oubliant de vivre pour lui-même.

« Les rêves de jadis avaient porté tant de fruits qu’ils étaient désormais ensevelis sous un quotidien étouffant de papiers et d’audiences. Ce que d’autres enviaient comme un succès était pour moi une servitude. »

«  J’étais un homme de confiance du roi, je contrôlais un immense réseau d’affaires. Et pourtant, je ne cessais d’espérer qu’un jour on me rendrait à moi-même. »

Le lecteur pourrait craindre une lecture monotone mais il n’en est rien. Sentiments, intrigues, suspense, la vie de Jacques a été assez riche et « romanesque » pour que le lecteur dévore ce livre avec avidité.
Je suis sortie de cette lecture très heureuse d’en avoir appris autant surtout lorsque les connaissances passent par une écriture aussi fine, précise et un ton aussi juste qui nous rendent le Grand Cœur attachant et admirable.
Moi qui en plus adore les histoires d’ascension sociale, j’ai été gâtée. Le personnage se prête bien à toute une réflexion sur le pouvoir et la réussite sociale. La conclusion est, comme bien souvent, toujours la même : le pouvoir exige des sacrifices et en premier lieu exige de sacrifier sa liberté.

Charles VII par Jean Fouquet

Jacques Cœur a donc eu un rôle bien plus grand et important que celui qu’on lui laisse dans les manuels scolaires. Jean-Christophe Rufin a voulu effacer la fausse image d’un intrigant parvenu et « dresser un tombeau romanesque » à celui qui a su réaliser ses rêves. Et il y est brillamment parvenu.

Maison natale de Jacques Coeur à Bourges



Un grand merci à Stellade pour cette LC.
L'avis de Stellade et celui de Licorne.

mardi 5 novembre 2013

L'invention de nos vies - Karine Tuil



Nous évoluons dans une société de plus en plus individualiste et matérialiste. Les maîtres mots sont réussite et performance. Pour beaucoup, il s’agit surtout de réussir socialement, se faire une place, une situation. Avoir un bon emploi et un bon salaire. Avoir une belle voiture, une belle maison, les gadgets électroniques dernier cri. Avoir un conjoint, de beaux enfants dont on exige de beaux bulletins scolaires. Et surtout, on aime particulièrement obtenir l’estime et le respect des autres voire même susciter l’envie.
Nous pensons à tort que le bonheur ne s’acquiert que par cette réussite sociale. Partout, à l’école, parmi nos amis et notre famille, tout concourt à nous donner l’obsession de la réussite. Cette pression est d’autant plus forte qu’elle s’appuie sur notre orgueil et notre vanité.

Dans L’invention de nos vies, Karine Tuil dénonce cette pression permanente et les possibles dérives d’un système qui pousse à la compétition, au formatage et au déni de soi. Elle aborde le sujet sous divers aspects à travers plusieurs personnages aux parcours très différents.

Samir Tahar est issu de l’immigration, il est musulman et son horizon se limite aux cités mal famées. C’est pourtant un brillant étudiant qui a obtenu d’excellents diplômes. Malheureusement ses recherches d’emploi restent vaines. Jusqu’au jour où il postule en ayant modifié son prénom. Le recruteur le prend alors pour un membre de la communauté juive. Samir ne relève pas le malentendu. Pour crédibiliser son appartenance à la religion juive, il s’invente une nouvelle vie. Toute sa carrière, sa vie privée reposeront alors sur une vaste mystification.
Samuel Baron est issu de la bourgeoisie juive. Tout va bien pour lui jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il a été adopté. Il s’éloigne de ses parents, rencontre Nina dont il est fou amoureux puis Samir avec lequel il se lie d’amitié. Samuel semble avoir un destin tout tracé par ses origines aisées, il rêve de devenir un grand écrivain mais la perte de ses parents et la trahison de Nina l’entraînent au fond du gouffre.
Nina est une jeune femme libre et indépendante. Toute sa vie est basée sur ce qui semble être son unique atout : sa beauté. Elle sera la pomme de discorde entre Samir et Samuel faisant alors éclater le trio d’amis.

Autour de ces trois figures centrales du roman gravitent d’autres personnages secondaires et des figurants. Tous participent à la réflexion proposée par l’auteur.

Les femmes, représentées essentiellement par Nina, la mère et la femme de Samir sont toutes esclaves de quelque chose :
- Nina de sa beauté,
- la mère de Samir des hommes en se dévouant toute sa vie à répondre aux moindres désirs de son mari, puis de son amant et enfin de ses enfants,
- Ruth de la fortune familiale et de l’honneur , elle a vécu enfermée dans sa bulle, ultra-protégée par son richissime paternel et par sa communauté.

Samir et François, son demi-frère, ont tous les deux répondu à leur façon à la même rage et au même désespoir. Ils se sont sentis inférieurs et donc méprisés du fait de leurs origines ethniques, religieuses et sociales. Samir a choisi de mentir sur son identité, François trouvera une autre voie. Mais chaque chemin aura la même issue.

Chaque personnage rencontré fait aussi l’objet d’une note de bas de page en rapport avec ce qu’il rêvait de devenir.

L’invention de nos vies est un roman admirablement bien construit et bien pensé. Le style de Karine Tuil est puissant, percutant, on ressent la colère de ses personnages. Les successions d’énumération donne un effet de mitraillage ( de balles ou flashs des paparazzis …). Le lecteur est sous le feu, est happé dans cette histoire et n’en ressort plus. Les pages défilent à toute vitesse, on est avide de savoir ce qu’il advient de Samir l’arriviste, Samuel le paumé, Nina la légère.
A travers le personnage de Samuel, Karine Tuil s’interroge aussi sur le sens et l’objectif de la littérature, sur ce qu’est un écrivain.

J’avais très peur au début que tout le roman tourne autour du triangle amoureux formé par Samir, Samuel et Nina mais Karine Tuil nous emmène bien au-delà. Elle brosse un tableau féroce mais assez réaliste de notre société variant les genres et les protagonistes. Ce roman s’adresse à tout le monde, toutes les classes sociales, toutes les confessions religieuses. Karine Tuil illustre parfaitement bien les sentiments de chaque groupe, sentiment de déconsidération, d’injustice, de crainte. Elle montre combien la France échoue à faire vivre ensemble de façon harmonieuse l’ensemble de sa population.

A travers Pierre Lévy, mon personnage préféré, Karine Tuil se fait la voix de la raison, de l’espoir et de l’optimisme. Elle nous invite à briser nos chaînes, à prendre du recul par rapport à ce que la société exige de nous, à lui porter un regard différent, à ne pas s’enfermer dans des schémas de pensée que l’on s’imagine immuables.
En même temps, elle s’interroge sur ce qui fait notre identité, l’importance de connaître ses origines, sa famille, le besoin de se sentir accepté, de faire partie d’une communauté et d’y avoir sa place.

Le seul reproche qu’on pourrait lui faire c’est d’avoir choisi des cas extrêmes tombant ainsi dans le cliché et la généralisation. Toutes les cités ne sont pas des coupe-gorges et des repères de trafiquants, on ressent trop le clivage musulmans pauvres d’un côté, juifs aisés de l’autre. La réalité est bien plus contrastée. Cependant, il faut reconnaître que son choix se prête bien à la démonstration puisqu’il correspond à l’image que se font la plupart des gens de notre société et à celle que véhiculent les médias.

Bref, c’est un roman très riche, une belle réussite. elle m’aura régalée avec ce roman digne des grands romans sociaux américains. Il s’en dégage beaucoup de puissance avec des thèmes très travaillés et qui m’intéressent particulièrement.
Bref, j’ai adoré et je pense sincèrement que Karine Tuil aurait mérité, elle aussi, le prix Goncourt. En tout cas, je vous en conseille fortement la lecture.


vendredi 1 novembre 2013

Les cerfs-volants de Kaboul - Khaled Hosseini



On suit Amir, fils d’un homme d’affaires aisé de Kaboul. Amir est assez introverti, son principal compagnon de jeu est Hassan, le fils du domestique. Mais Hassan est issu du peuple hazara haï par les pachtounes qui ont tout fait pour purger le pays de cette ethnie. Du fait de sa condition, Hassan est analphabète et Amir profite de sa position de force dans ses rapports avec le petit garçon. Il faut dire que le père d’Amir semble éprouver plus d’affection pour Hassan que pour son propre fils. Afin d’obtenir l’estime et l’amour de son père, Amir va jusqu’à commettre un acte honteux qui le hantera toute sa vie jusqu’à ce que, une fois adulte et exilé en Amérique, l’occasion lui soit donnée de se racheter. Amir retourne en Afghanistan et constate l’effroyable métamorphose qu’a subie son pays d’origine à présent sous la coupe des talibans.

Quel magnifique roman ! Certes, le style est assez simple mais l’histoire qu’il raconte est tellement émouvante que j’en ai pleuré. Il retrace particulièrement bien l’histoire contemporaine de l’Afghanistan et offre le point de vue d’un afghan ayant vécu les événements. C’est particulièrement intéressant et bouleversant.

Kaboul en 1970

C’est aussi un joli conte avec pour thème principal le rachat de ses fautes mais aussi la culpabilité et les rapports père-fils.
J’avais très peur au début d’avoir affaire à un énième pamphlet anti-islam mais pas du tout. L’auteur a su rester objectif et a su traiter de la progressive évolution de Amir sur le chemin de la Foi sans écarter d’autres points de vue comme l’illustre la figure du père de Amir. Il a également montré que les talibans n’étaient que des hypocrites qui, sous couvert de l’islam, ne recherchaient que le pouvoir.
On apprend donc beaucoup sur l’Afghanistan, comment les événements tragiques que ce pays a connu ont été vécus, mais aussi sur les mœurs et les traditions des afghans.

J’ai aussi visionné l’adaptation ciné et je me suis alors rendue compte à quel point Khaled Hosseini avait bien construit ses personnages et son intrigue. En utilisant la première personne du singulier, il nous fait partager les pensées de Amir. Et c’est ce qui fait cruellement défaut au film, on a souvent l’impression de passer du coq à l’âne et qu’il manque des informations  en particulier au sujet des relations entre Amir et Hassan et entre Amir et son père.



L’évolution de la psychologie des personnages est bien plus visible et détaillée dans le livre. C’est un roman très bien maîtrisé de bout en bout, une petite merveille.
Je suis donc enchantée par ma lecture et je prévois très bientôt de lire Mille soleils splendides qu’on m’a beaucoup vanté.