samedi 20 décembre 2014

Le Colloque des Bonobos - Frédéric Lepage


Si la grue était douée de raison,
Elle diviserait les vivants
Entre les grues et tous les autres,
Indistinctement unis dans un seul bloc.
Platon
Le Politique


En son temps, Darwin choquait en montrant que l’être humain et les singes provenaient d’un ancêtre commun.
Malgré ça, l’homme n’a eu de cesse de justifier sa prétendue supériorité sur les autres espèces en se basant sur toutes sortes d’arguments, aussi bien religieux que scientifiques.
Profitant de cette supériorité, l’homme a plié la nature à sa volonté. Il ne s’y adapte plus mais la fait s’adapter à lui, peu soucieux des autres espèces qu’il met alors en danger.
Depuis les progrès de la science ont montré que les chimpanzés et les êtres humains partagent l’essentiel de leur patrimoine génétique jusqu’à plus de 98% d’ADN en commun.
«L'écart génétique entre l'homme et le chimpanzé est bien moins grand que celui qui sépare les deux espèces d'orang-outan», note le généticien de l'évolution Pierre Darlu (Inserm).
Comment continuer alors à affirmer haut et fort que l’homme est le seul être vivant digne de figurer tout au sommet de l’arbre des espèces ? Qu’est-ce qui le différencie des autres ?

Dans son livre, Frédéric Lepage imagine un colloque au cours duquel les chimpanzés sont invités à réfléchir à cette question et à décider si oui ou non ils acceptent d’être considérés comme les égaux des êtres humains.
A travers différents personnages, Frédéric Lepage, auteur et producteur de films documentaires, laisse s’exprimer les pour et les contre reprenant des résultats et conclusions de recherches scientifiques validées par Sandrine Prat paléoanthropologue chargée de recherche au CNRS.

Villeurbanne est un chimpanzé bonobo, cobaye de laboratoire qu’on a laissé sortir afin de représenter ses congénères à la conférence. Il est farouchement contre l’égalité avec l’homme convaincu qu’il est de son importance et de son indispensable rôle dans les progrès de la science pour laquelle il est prêt à se sacrifier. Il est aussi extrêmement satisfait de ses conditions de vie. Utilisé comme mâle reproducteur, il peut féconder toutes les femelles qu’il souhaite sans avoir à combattre un quelconque mâle dominant. Pour lui, c’est le Paradis !
Congo est un autre bonobo venu tout spécialement du continent africain résolu à voter pour la résolution qui ferait des hommes et des chimpanzés des frères. Il est chargé de rédiger son discours inaugural. C’est l’occasion pour lui de réfléchir à des arguments percutants et irréfutables afin de convaincre l’assemblée de voter dans sa direction.
Bianga est une femelle bonobo issue d’une autre zone géographique. Elle doit accompagner celle qui est chargée de les représenter, l’Imprécatrice. Mais ne partageant pas ses vues, elle s’arrange pour la blesser et prendre sa place. Elle aussi, a l’intention de voter pour la résolution. Elle espère que cette égalité garantira la protection de son espèce.

Le colloque est l’occasion d’âpres débats entre nos personnages. Les arguments toujours avancés par les hommes pour proclamer leur supériorité sont passés en revue et réfutés : l’utilisation et la fabrication d’outils ? Les bonobos aussi en ont fait preuve ! Le langage ? Une des leurs a appris la langue des signes et est parvenue à communiquer ainsi ! La station debout ? Les émotions ? Balayés d’une main. Qu’ont donc les hommes de plus qu’eux à présent ?
L’enjeu est important et les esprits s’échauffent. Tentative de corruption, manipulation, intervention d’un groupe « terroriste » composé d’orangs-outans et de gorilles scandalisés d’être laissés de côté, ce colloque se révèle plein de surprises et est très animé. Alternant passages humoristiques, réflexions scientifiques et philosophiques, Frédéric Lepage livre ici un court mais passionnant récit et invite à la réflexion. On y apprend également beaucoup sur les bonobos et les chimpanzés. Dans la même veine que La Planète des Singes, le fait que les animaux soient les protagonistes principaux sollicite notre empathie ( aussi considérée comme une prérogative humaine ) et permet un changement de point de vue bénéfique et efficace.

Un roman original et intelligent pour remettre un peu l’homme à sa place !

Et un grand merci à mon mari qui parvient toujours à me dénicher des petits trésors chez le bouquiniste.





jeudi 18 décembre 2014

Fleur de Neige - Lisa See



4ème de couverture :

Dans la Chine du XIXème siècle, le destin de deux jeunes filles est lié à tout jamais. Fleur de Lis, fille de paysans, et Fleur de Neige, d’origine aristocratique, sont nées la même année, le même jour, à la même heure. Tous les signes concordent : elles seront laotong, âmes sœurs pour l’éternité.
Les deux fillettes grandissent, mais si leur amour ne cesse de croître, la vie s’acharne à les séparer. Alors que la famille de Fleur de Neige tombe en disgrâce et que la jeune fille contracte le mariage le plus infâmant qui soit, Fleur de Lis, par son union, acquiert reconnaissance et prospérité. L’amitié sacrée des deux femmes survivra-t-elle au fossé que le destin a creusé entre elles ?

Mon avis :

Lorsque Sarah nous a proposé ce titre lors de notre club de lecture et qu’elle nous en a lu le résumé que je vous ai rapporté ci-dessus, je vous avoue que je n’étais que très moyennement enthousiaste. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je craignais un texte et des personnages larmoyants donnant dans le pathos. Et j’ai finalement été très agréablement surprise. (merci Sarah !)

Fascinante immersion dans la vie quotidienne de la Chine rurale au XIXème siècle, Fleur de Neige est un roman derrière lequel se cache un véritable documentaire sur la condition des femmes chinoises de l’époque et la description d’une société très hiérarchisée qui compte bien des points communs avec d’autres sociétés d’autres contrées.

Le début du roman est assez dur pour le lecteur sensible car Lisa See nous évoque immédiatement la tradition des pieds bandés, coutume qui aura perduré jusqu’au milieu du XXème siècle. Vers l’âge de 7 ans, toutes les petites filles doivent subir un rituel qui relève de la pure mutilation. Le but est d’obtenir les pieds en forme de lis les plus jolis afin de pouvoir contracter le meilleur mariage possible. Ce rituel est un vecteur d’ascension sociale puisque ce critère permet même à une femme d’origine modeste de pouvoir envisager une union avec une famille de statut plus noble. La fillette qui refuse de se soumettre à cette torture volontaire est condamnée socialement à ne pas se marier et, dans le meilleur des cas, à travailler au service des autres sans bénéficier d’aucune protection. Cependant la pratique des pieds bandés est une pratique extrêmement douloureuse et dangereuse puisque une fillette sur 10 n’y survit pas. D’autres peuvent connaître des complications qui les handicapent à vie. Mais de toutes façons, jamais plus une femme aux pieds bandés ne pourra parcourir de longues distances à pied. Mais peu importe puisque dans la société chinoise de l’époque, une femme reste cloîtrée dans ses quartiers, s’occupe de son foyer, des travaux de couture, de ménage, de cuisine.
Les descriptions sont très dures puisque Lisa See nous explique par le détail comment les femmes procédaient au bandage des pieds. J’en étais mal à l’aise au point de ne plus supporter mes chaussettes, j’avais mal aux pieds par procuration !

Ce souci du détail et de la précision de la part de l’auteur se remarque aussi pour tout le reste. Elle se livre à une véritable étude sociologique. Les relations au sein de la famille sont expliquées dans toute leur complexité : le rôle des épouses, des mères, du mari, des concubines, la place des enfants selon leur sexe. Les relations extra familiales apparaissent aussi à travers la coutume des sœurs adoptives qui accompagnent une jeune fille jusqu’à son mariage et celle du laotong qui consiste à unir deux petites filles dont tous les signes concordent, un lien très puissant puisqu’il est censé durer toute la vie. La force de ce lien sera mis à rude épreuve pour Fleur de Lis. Son attachement à son âme sœur Fleur de Neige lui est d’autant plus précieux que Fleur de Lis recherche désespérément à être aimée, elle qui n’a jamais connu aucun geste d’amour ou de tendresse de la part de ses parents. Les mariages étant arrangés, elle n’espère pas d’amour de ce côté là et reporte toutes ses attentes sur sa laotong avec tous les risques qu’un amour unique peut comporter.

Lisa See n’oublie pas non plus le contexte historique puisqu’elle place son intrigue à l’époque de la révolte des Taiping. Elle nous explique aussi tous les bouleversements liés à chaque changement d’empereur et les répercussions que cela peut avoir sur les familles. Des fortunes peuvent être rapidement anéanties. Quand ce ne sont pas les soldats impériaux ou les révoltés qui saccagent et ravagent la population, les fléaux naturels prennent le relais et effectuent aussi leur sinistre besogne ainsi la fièvre tiphoïde qui décime une large partie de la population.
Personne n’est à l’abri, le statut social et la fonction ne protègent de rien. Certains sont même infamants à vie et ce n’est pas sans rappeler la caste des intouchables en Inde.

Il y a encore beaucoup de choses à découvrir dans ce roman richement documenté ( l'auteur est allée sur place et a recueilli des témoignages ) et dont je ne vous dirai rien. Je ne peux que vous inciter à le lire tant il est magnifique, écrit de façon subtile et douce, un style qui se marie bien avec le propos et le destin des personnages. Ce roman m’a transportée dans le temps et dans l’espace, m’a touchée, horrifiée mais je suis ressortie de ma lecture enchantée et envoûtée. J’ai appris énormément, bref, Fleur de Neige concentre tout ce que j’aime dans un livre.



lundi 8 décembre 2014

Sous le soleil de Satan - Georges Bernanos


« Dieu n’est pas là, Sabiroux ! »

Nietzsche nous annonçait la mort de Dieu. Bernanos nous apprend qu’il s’est effacé au profit du Diable.

« - Prince du monde ; voilà le mot décisif. Il est prince de ce monde, il l’a dans ses mains, il en est roi.
… Nous sommes sous les pieds de Satan, reprend-il après un silence. Vous, moi plus que vous, avec une certitude désespérée. Nous sommes débordés, noyés, recouverts. Il ne prend même pas la peine de nous écarter, chétifs, il fait de nous ses instruments ; il se sert de nous, Sabiroux. »

Alors que rien ne laissait augurer de ses capacités à endosser efficacement la charge de prêtre, l’abbé Donissan semble soudainement touché par la grâce divine et se construit peu à peu une réputation de Saint.

Pourtant, Sous le soleil de Satan est loin d’être le récit d’une ascension mais bien plutôt celui d’une chute, celle de l’abbé Donissan qui, après avoir cru en Dieu, se laissera envahir par le désespoir lié à son impuissance dans la lutte contre le péché, contre Satan.

Le roman se découpe en 3 parties.
La première est consacrée à Mouchette, une jeune fille de 16 ans, très jolie. Mouchette plaît beaucoup aux hommes mais comme de nombreuses femmes, elle cherche surtout un homme capable de l’aimer sincèrement et qui ne verra pas en elle qu’une occasion de se donner du plaisir. Malheureusement, elle ne rencontre que des amants peu sérieux. Sa haine et sa rage vont croissants et la poussent à commettre l’irréparable.
Dans la deuxième partie, nous faisons la connaissance de l’abbé Donissan et du prêtre chargé de son instruction. D’abord peu convaincu par les aptitudes de son protégé, il cherchera par la suite à le mettre en garde et le conseiller afin de faire face à sa nouvelle et sainte destinée. En effet, l’abbé Donissan se révèle être touché par la grâce divine. Emporté par de grands élans mystiques, l’abbé pousse sa ferveur à l’extrême jusqu’à mettre sa santé en péril : jeûnes prolongés et répétés, auto-flagellations, port du cilice et autres mortifications destinées à l’expiation de ses fautes. La rencontre entre l’abbé Donissan et l’Ange Déchu en personne convainc le jeune prêtre dans sa détermination à lutter pour le salut des âmes que Dieu lui a confiées.
Dans la troisième partie, il se rend compte de la supériorité écrasante de son adversaire. Il ne va pas jusqu’à renier Dieu mais comme le fera remarquer un de ses visiteurs :
« Quel dommage […] qu’un tel homme puisse croire au Diable ! »

La sainteté de l’abbé Donissan ne repose finalement sur pas grand-chose. De lui semble irradier une sorte d’aura, il a vu le Diable, il a eu quelques visions mais tous ses efforts pour faire le Bien semblent vains. Il s’épuise même à la tâche.

« Son extérieur est d’un saint, et quelque chose en lui, pourtant, repousse, met sur la défensive… Il lui manque la joie… »

L’abbé Donissan m’a fait l’effet d’un prophète en négatif plutôt que celui d’un saint. Sa rencontre nocturne avec Satan alors qu’il est perdu dans la campagne déserte m’a rappelé Moïse et le Buisson Ardent. La façon dont Bernanos évoque ses mortifications invite au parallèle avec Jésus, à de nombreuses reprises d’ailleurs, il mentionne la croix portée par l’abbé. La tentative de résurrection du jeune garçon s’y rattache également. A la différence que chez l’abbé Donissan, tout bascule du mauvais côté.
Son mysticisme, qui est censé le transcender et lui procurer la force et la joie, ne s’accompagne que de désespoir et d’épuisement.

Bergson, dans son ouvrage Les deux sources de la morale et de la religion, définit ainsi le mysticisme :

« C'est, désormais, pour l'âme, une surabondance de vie. C'est un immense élan. C'est une poussée irrésistible qui la jette dans les plus vastes entreprises. Une exaltation calme de toutes ses facultés fait qu'elle voit grand et, si faible soit-elle, réalise puissamment. Surtout elle voit simple, et cette simplicité, qui frappe aussi bien dans ses paroles et dans sa conduite, la guide à travers des complications qu'elle semble ne pas même apercevoir. Une science innée, ou plutôt une innocence acquise, lui suggère ainsi du premier coup la démarche utile, l'acte décisif, le mot sans réplique . L'effort reste pourtant indispensable, et aussi l'endurance et la persévérance. Mais ils viennent tout seuls, ils se déploient d'eux-mêmes dans une âme à la fois agissante et agie , dont la liberté coïncide avec l'activité divine. Ils représentent une énorme dépense d'énergie, mais cette énergie est fournie en même temps que requise, car la surabondance de vitalité qu'elle réclame coule d'une source qui est celle même de la vie. »

Chez Donissan, c’est l’effet complètement inverse. Non pas une surabondance de vie ni un immense élan mais plutôt un lourd fardeau, une croix démesurée à porter. L’exaltation n’est pas calme, elle est furieuse et paniquée. Il aperçoit clairement les complications et plie sous leur poids. Même s’il trouve souvent les mots justes, l’énergie que cet exercice exige de lui le fatigue au point que ses paroles finissent par ne plus atteindre leur but. Ainsi, il ne parvient pas même à sauver l’âme de Mouchette.
C’est un abbé écrasé par la puissance non pas divine mais satanique. Lutter contre Satan est impossible. Pour cela, il faudrait faire preuve de ruse et la ruse n’est-elle pas un des attributs du Diable ? Lutter contre lui, c’est déjà lui faire allégeance. Le défier, comme l’a fait l’abbé, un sursaut d’orgueil et donc aussi un péché. Il semble même être venu à penser que Dieu lui-même est désarmé face à celui qui lui a désobéi. Dieu se serait alors retranché dans une forteresse dont il a fait des hommes les remparts. Ils absorbent tout le Mal dispensé par le Diable en commettant péchés sur péchés pour ensuite les déverser et s’en décharger au confessionnal. Face à ces déferlantes ininterrompues, l’abbé tombe dans un profond désespoir. La lutte est inégale et Satan n’a que faire de troubler le commun des mortels, il s’attaque aux meilleurs d’entre eux :

« Pourquoi disputerait-il tant d’hommes à la terre sur laquelle ils rampent comme des bêtes, en attendant qu’elle les recouvre demain ? Ce troupeau obscur va tout seul à sa destinée … Sa haine s’est réservé les saints. »

«  Où l’enfer trouve sa meilleure aubaine, ce n’est pas dans le troupeau des agités qui étonnent le monde de forfaits retentissants. Les plus grands saints ne sont pas toujours les saints à miracles, car le contemplatif vit et meurt le plus souvent ignoré. Or l’enfer aussi a ses cloîtres. »

Voilà ce que j’ai compris de ce roman. Je suis peut-être totalement à côté de la plaque. Je ne vous cache pas que ma lecture a été laborieuse et que moi aussi j’ai du lutter pour en venir à bout. Ce texte de Bernanos a la réputation d’être assez difficile et je comprends maintenant pourquoi. Bernanos parsème son récit de longs passages qui me sont restés complètement abstrus. J’ai eu l’impression qu’il exprimait quelque chose de très intime, peut-être vécu mais en tout cas très personnel et donc impossible à comprendre sans être dans sa tête. En tant que lecteur, on reste totalement à l’écart, en spectateur perplexe. Le style m’a parfois aussi posé problème. Non pas que ce soit mal écrit, il y a des lignes magnifiques, mais j’ai du m’y reprendre à plusieurs fois sur certaines phrases, la construction syntaxique m’échappant totalement.
Pourtant ce roman est magistral par sa thématique et l’intrigue mais j’ai trouvé le traitement terne. On ne ressent absolument pas la tension dramatique à laquelle pourtant le sujet se prête bien volontiers. Ça manque de puissance d’évocation, de force.

Sous le soleil de Satan est un roman très complexe et difficile d’accès selon moi ( je ne suis peut-être pas assez armée pour l’aborder ). J’ai le sentiment qu’il dit beaucoup de choses mais qu’elles m’échappent. Par exemple, il me semble que Bernanos a voulu dire quelque chose au sujet de la vieillesse, il insiste beaucoup là-dessus mais je n’ai pas compris où il voulait en venir.

Cependant je ne suis pas complètement fâchée avec Bernanos bien qu’il n’ait pas su me séduire cette fois-ci. J’ai cru comprendre que Le journal d’un curé de campagne était plus accessible et transcendant. Je lui redonnerai donc sa chance.

Si vous avez lu Sous le soleil de Satan et que vous avez des éclaircissements à m’apporter, n’hésitez surtout pas à m’en faire part.


« - Un Saint ! Vous avez tous ce mot dans la bouche. Des saints ! Savez-vous ce que c’est ? Et vous-même, Sabiroux, retenez ceci ! Le péché entre en nous rarement par force mais par ruse. Il s’insinue comme l’air. Il n’a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par-dedans. Pour quelques misérables qu’il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d’autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des sépulcres vides. Notre-Seigneur l’a dit : quelle parole, Sabiroux ! L’Ennemi des hommes vole tout, même la mort, et puis il s’envole en riant. »

Dante et Virgile - William Bouguereau




jeudi 4 décembre 2014

Noces de cire - Rupert Thomson



J’aime beaucoup les romans consacrés à des artistes, en particulier les peintres et les sculpteurs. Lorsque j’ai lu que celui-ci avait pour personnage principal un sculpteur sur cire, ça m’a tout de suite intéressée. Je n’ai pas tilté sur le coup mais une fois ma lecture entamée, ça m’est revenu. J’avais vu il y a un certain temps déjà un documentaire qui parlait justement d’un sculpteur sur cire aux inspirations plutôt morbides. Eh bien c’est lui que Rupert Thomson a choisi pour héros de son roman.

Gaetano Zummo ( Zumbo) a vécu au XVIIème siècle en Italie. Il a notamment été appelé à Florence par le grand-duc de Toscane Cosme de Médicis pour lequel il a effectué plusieurs œuvres.
Zumbo était particulièrement attiré par l’anatomie qu’il a étudiée à Rome et à Bologne. Ses œuvres s’apparentent plus à des études qu’à de simples représentations du « Beau ». Après avoir quitté le grand-duc, Zumbo s’associe avec un chirurgien français auprès duquel il exécute d’incroyables pièces anatomiques si réalistes et précises qu’elles furent présentées à l’Académie des Sciences.
On lui doit aussi, parmi les ouvrages réalisés pour Cosme, de véritables tableaux de cire représentant les différents stades de décomposition du corps humain. Les maladies dont la peste et la syphilis furent pour lui de véritables objets d’étude.

Dans son roman, Rupert Thomson retrace la partie de la vie de Zumbo qu’il a passée à Florence. Son récit s’entrecoupe des souvenirs de Zumbo attachés à sa Sicile natale et à la famille qu’il a laissée derrière lui, à ses relations violentes avec son frère qui le déteste, et aux rumeurs scandaleuses qui traînent dans son sillage.
Installé à Florence, Zumbo se sent surveillé. Sa réputation l’a peut-être précédé, il craint que ses rapports avec le grand-duc n’en souffrent voire pis, sa vie pourrait être en danger. Car Cosme mène à Florence une politique de mœurs intransigeante où les Dominicains semblent contrôler la vie des citoyens rappelant les heures sombres de l’époque de Savonarole.

La Peste - Gaetano Zumbo (1680-1700)
J’ai un avis finalement assez mitigé sur ce roman. Le sujet me parlait énormément, j’ai adoré redécouvrir cet artiste dont j’avais oublié l’existence, j’ai énormément apprécié cette plongée dans la Florence du XVIIème siècle dont Rupert Thomson retranscrit merveilleusement bien l’atmosphère lourde de tension permanente. Il donne de nombreuses informations sur la vie quotidienne florentine, sa population et son administration. L’auteur nous emmène dans les rues de la ville à travers les quartiers dont les noms nous sont aujourd’hui encore familiers, au pied des grands monuments mais aussi à l’intérieur du ghetto juif.
Toutefois, l’auteur prend des libertés par rapport à l’histoire et encore une fois, il ne fait aucune mention de ses sources de documentation et ne précise pas au lecteur jusqu’où il est allé dans le fictionnel. C’est dommage. Bon certes, le lecteur peut faire le travail lui-même en effectuant ses propres recherches mais ce n’est pas si évident. Par exemple, je n’ai trouvé aucune mention de la commande principale demandée à Zumbo par Cosme dont il est question dans le livre. J’imagine aussi que les rapports entre Cosme et son épouse ont une part de vérité mais jusqu’à quel point ?
Mais ce n’est pas ce qui m’a le plus gênée dans cette lecture, c’est surtout la romance entre Zumbo et une jeune fille qu’il rencontre. J’ai trouvé qu’elle prenait trop de place et que le texte en souffrait par trop de longueurs.
En fait, j’ai été plus attirée par les détails annexes et le contexte que par l’intrigue principale. J’aurais aimé que l’auteur insiste plus sur l’artiste et son travail.
Néanmoins, Noces de cire reste un roman historique agréable et bien écrit.

Note : D’après Wikipédia, il existe un autre roman historique ( apparemment très documenté) consacré à Gaetano Zumbo écrit par Christine Brusson et publié aux éditions des Equateurs en 2010 : La Splendeur du soleil. A voir …


Merci aux éditions Denoël.



Noces de cire - Rupert Thomson
Editions Denoël - Collection Denoël et d'ailleurs
Traduction : Sophie Aslanides
400 pages
Parution : 09-10-2014

mardi 25 novembre 2014

Challenge Tous Risques : bilan de la 1ère session et lancement de la 2ème !


La 1ère session du challenge Tous Risques touche à sa fin, les trois mois sont déjà écoulés et il est temps de penser à la 2ème session.
Avant de vous annoncer la nouvelle lettre, je vais faire quelques rappels et précisions concernant les modalités du challenge et aussi faire le bilan de cette première session.

Principe du challenge :

Le but de ce défi est de découvrir des auteurs non médiatisés ou tombés dans l’oubli. Le challenge ne comporte que 2 contraintes :
1)      Le patronyme de l’auteur doit commencer par la lettre que je vous indique à chaque lancement d’une nouvelle session.
2)      Cet auteur doit vous être totalement inconnu au bataillon c’est-à-dire que vous devez ne jamais en avoir entendu parler.
Pour choisir votre livre, vous êtes libres de procéder comme bon vous semble. Vous pouvez vous fier au hasard total en piochant à l’aveugle dans le rayon de votre bibliothèque municipale ou librairie. Vous pouvez choisir en fonction du résumé du livre, de la couverture etc … Vous êtes également totalement libres dans le choix du genre littéraire et de la nationalité de l’auteur. Bref, vous faites comme vous voulez tant que l’auteur vous est strictement inconnu.
Pardon d’insister mais plusieurs personnes m’ont posé la question à la session précédente donc je précise clairement les choses. Il ne s’agit pas de simplement lire un auteur que vous n’avez pas encore lu bien que vous le connaissiez déjà de nom ( il y a d’autres challenges sur ce principe).

Bilan de la 1ère session :

Du 1er septembre au 1er décembre, nous devions lire un auteur inconnu dont le nom commence par G.
Nous avons été 17 à nous inscrire pour seulement 7 participations effectives.
Le bilan est mitigé. Il y a de très belles découvertes et aussi des déceptions.

Jérôme a eu le flair nécessaire pour nous faire découvrir Gauz avant tout le monde.
Moglug a su vaincre ses préjugés sur les romans régionaux.
Mavilyly s'est tournée vers le genre policier, genre qui ne lui est pas habituel.
Vio, après une recherche sur internet, a joué aux cow-boys et aux indiens.
Agnès a rencontré le dernier des Mohicans sans pourtant lire Fenimore Cooper.
AnGee a pioché au hasard dans les rayons de sa médiathèque et s'est retrouvée au cirque.
Quant à moi, j'ai vu des fantômes ...

Je vous invite à consulter le récap qui vous donnera les liens de tous les billets participants.

Un grand grand merci et félicitations à vous tous qui avez joué le jeu. Vous êtes des lecteurs très courageux ! Bravo !

Lancement de la 2ème session :

La 2ème session du challenge commencera à compter du 1er décembre et se terminera donc trois mois plus tard c’est-à-dire le 1er mars.
Vous pouvez vous inscrire dès maintenant et à tout moment pour ceux qui hésitent en laissant un commentaire sous cet article.
N’hésitez pas à m’informer dès que vous avez jeté votre dévolu sur un auteur et un titre ( je suis toujours curieuse de voir ce que vous avez déniché).
Et pour cette fois-ci, la première lettre du nom de votre auteur devra être :


Comme vous en avez l'habitude, n'oubliez pas de venir me laisser le lien de votre billet, une fois votre lecture faite.
Je vous souhaite à tous une excellente lecture, à vos risques et périls ! 





 

jeudi 20 novembre 2014

Un jeune homme prometteur - Gautier Battistella



Mais qu’est-ce donc que cette folie meurtrière envers le monde animal qui s’empare de nos jeunes auteurs de cette rentrée littéraire ?
Après Pierre Raufast qui a fait subir nombre de tortures aux sauterelles et aux rats-taupes, voilà Gautier Battistella qui s’en prend aux limaces.

J’étais très impatiente de découvrir ce premier roman d’un tout nouvel auteur dont le résumé me semblait très alléchant. Je m’étais donc faite une petite idée du contenu du roman. En général, lorsque je commence une lecture avec des attentes et que l’auteur ne prend pas la direction que je supposais, ça se termine souvent en grosse déception.
Eh bien, ça n’a pas du tout été le cas ici. Bien au contraire, Gautier Battistella a su me surprendre totalement et j’ai englouti ce roman avec avidité.

Tout commence en dehors du temps dans un petit village des Pyrénées où les blessés de la vie se retrouvent et cherchent l’oubli et la rédemption. C’est dans ce village que vont grandir le narrateur et son frère après un douloureux passage à l’orphelinat dont une vieille dame au grand cœur, Mémé, les sauve en les adoptant.
De sa voix enfantine, le narrateur nous raconte son enfance, ses liens avec son frère, les bêtises avec les copains, la peur de la vieille sorcière d’à côté, les premiers amours.
Là où le grand frère semble violent, impulsif et extraverti, le narrateur, lui, plus posé, se tourne vers les activités en solitaire et en particulier la littérature. C’est décidé, il sera écrivain.
Diplôme en poche et tel un Rastignac gonflé à bloc, il part défier Paris où il espère que l’attendent opportunités, succès et célébrité.
Mais c’est plutôt comme un Lucien de Rubempré que le narrateur finit par perdre peu à peu ses illusions et pas que. Il doit de plus lutter contre l’influence malsaine de son Vautrin de frère dont les apparitions toujours inattendues semblent coïncider avec les instants les plus sombres et noirs de sa vie.
On comprend progressivement que le narrateur, qui, parallèlement à son travail d’écriture, est également en quête de son identité et de ses origines, n’est pas totalement maître de ses actes et de son esprit. Les « médiocres » du milieu littéraire, les « limaces » en feront particulièrement les frais.

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. J’ai adoré ne pas savoir du tout où l’auteur allait m’emmener, j’ai adoré passer du roman presque « terroir du XIXème siècle » écrit dans le style « Petit Nicolas » au roman noir plus contemporain et au style incisif.
Cette évolution du style, du ton, en fonction de l’âge du narrateur est extrêmement bien menée. J’ai adoré ne pas toujours comprendre ce qui se passait dans la tête du narrateur, ces moments de doute, ces questionnements. J’aime les personnages qui intriguent le lecteur et qu’on ne parvient pas tout à fait à cerner, ceux qui vous surprennent et vous tiennent prisonnier de leurs délires au point que vous vous faites manipuler sans vous en rendre compte.
J’avoue quand même que le « secret » était finalement assez prévisible et que j’aurais aimé quelque chose de plus surprenant mais ça n’enlève rien au fait que j’ai englouti ce livre en 2 jours et que je le reprenais toujours avec grand appétit.

J’ai particulièrement apprécié aussi la critique du monde littéraire actuel, la célébrité imméritée de certains auteurs au talent plus que douteux, l’égocentrisme de certains. Gautier Battistella imagine aussi les critiques que lui feront les « professionnels », dénonce la platitude et le mielleux outrancier de certains compliments, parodie certaines éloges faites à des auteurs adulés. J’y ai retrouvé des phrases « bateau » que moi-même j’utilise parfois dans mes avis et je peux vous dire que ça fait réfléchir !
Dans son interview donnée à ONPC, Gautier Battistella affirme avoir imaginé ce monde littéraire qu’il fustige dans son roman mais ça sonne tellement juste ( on peut même s’amuser à identifier certains auteurs) et ça correspond tellement à l’idée que j’en ai aussi que certaines scènes, malgré leur violence, m’ont faite jubiler ( je vais vraiment devoir penser à la psychanalyse moi …)

Bref, je ne saurai que trop vous conseiller la lecture de ce roman d’un jeune auteur prometteur.

«  Je ne l’ai pas appelée tout de suite. Elle aurait été capable de se croire irrésistible. Le temps de me préparer à la confrontation. J’avalais chaque soir ma gélule de colère. Je lisais un paragraphe de sa dernière romance, dopée au viagra et aux bons sentiments, troublée par les problèmes d’érection du narrateur et les déboires hormonaux de ses conquêtes, dont l’une n’a même pas dix-huit ans et saigne chaque fois qu’elle se fait pénétrer. Heureusement que le héros, un gentil docteur, la sauve des griffes d’un frère envahissant et d’une sœur suicidaire. J’avalais ses mots en me pinçant les narines. Des mots malodorants, qui font mal gratuitement, sournois. Ils vandalisent le lecteur, drainent la méchanceté comme l’abcès de fixation le pus. Lasse avait inventé le bouquin laxatif. L’exercice se révélait chaque jour plus pénible. Souillé, je ne voyais qu’une alternative à ma guérison : me débarrasser d’elle. »





lundi 17 novembre 2014

La Symphonie des spectres - John Gardner



D’abord écrivain adulé et respecté par ses pairs, John Gardner commet à leurs yeux l’irréparable en publiant un essai dans lequel il expose sa conception de l’art d’écrire et de la littérature et se permet de critiquer ouvertement ses coreligionnaires qui ne le lui pardonneront pas.
Incompris, l’écrivain se renferme sur lui-même, se réfugie dans l’alcool. Il divorce, se remet en couple avec une jeune femme qui pourrait être sa fille. Malgré les bonnes ventes de ses premiers ouvrages, John Gardner est sans cesse sans le sou et se retrouve dans le collimateur de l’IRS. Hanté par la mort de son petit-frère dont il se croit responsable, il parvient néanmoins à vaincre un cancer et à poursuivre ses activités littéraires. Il se jette à corps perdu dans un dernier roman qu’il veut être le symbole et la démonstration de sa propre vision de la littérature. Il s’y implique jusqu’à faire de son personnage principal son alter ego.
« Mickelsson, c’est moi, dira Gardner. Mais je ne crois pas être aussi fou. »
A sa sortie, La Symphonie des spectres passera inaperçu. Son auteur trouve la mort peu après dans un accident de moto.


Peter Mickelsson est un professeur de philosophie réputé qui a connu le succès et la reconnaissance grâce à de nombreux ouvrages qu’il a publiés. Son divorce lui fait tout perdre : son foyer, sa renommée, ses amis et collègues, sa prestigieuse université.
Il parvient néanmoins à trouver un poste dans une petite faculté. Bien qu’il n’y soit pas contraint, Mickelsson reverse la quasi intégralité de son salaire à son ex épouse qui continue à mener grand train. Le peu d’argent qui lui reste part dans l’alcool. Les ennuis financiers commencent et Mickelsson survit grâce à ses chèques en bois et la confiance des commerçants locaux. Lassé du taudis qui lui sert d’appartement, il va même jusqu’à acheter une maison à retaper, une très belle maison à l’écart dans les montagnes. Mais des bruits circulent au sujet de cette maison. Dans le pays, on la prétend hantée.
Mickelsson entre alors dans une danse avec ses fantômes. Sa belle vie passée revient le hanter, les souvenirs d’enfance, de ses parents, ses obsessions : l’alcool, les femmes, l’IRS le tourmentent, il cherche désespérément à trouver un sens à sa nouvelle existence dans de nombreuses réflexions philosophiques sur lesquelles plane l’ombre de Martin Luther et Nietzsche. Peu à peu, grâce à ses nouvelles relations et ses échanges avec les étudiants, il se remet en question. Pensant être un homme exemplaire à l'éthique irréprochable, ses principes et convictions s’ébranlent et s'effritent. 

La Symphonie des spectres est un roman monumental que je n’hésite pas là à qualifier de chef d’œuvre. C’est un roman extrêmement riche et complexe. Riche par la pluralité de thèmes qu’il aborde. Le contexte est celui des élections présidentielles opposant Carter à Reagan. John Gardner retranscrit l’atmosphère de ce moment particulier évoquant les attentes et les craintes de la population ainsi que les grands enjeux politiques, économiques et sociaux. On retrouvera alors la grande question de l’énergie nucléaire à travers le fils de Mickelsson, militant écologique, et également des déchets toxiques à travers le problème des décharges sauvages. Sur le plan social, c’est le sujet de l’avortement qui est mis sur la table ainsi que les problèmes de cohabitation entre les différentes communautés. J’ai appris ainsi pas mal de choses notamment sur les Mormons. A l’université, les marxistes font entendre leur voix et demandent à ériger la sociologie en science indépendante d’autres disciplines. La querelle entre les départements de sociologie et de philosophie fait rage.
C’est aussi la description de la vie dans une petite ville de montagne avec la mentalité de ses habitants, leur comportement vis-à-vis de l’étranger, leurs superstitions, les légendes et croyances. Ainsi vous croiserez des sorciers, des ovnis, le bras armé d’une secte et des serpents à sonnette.
Roman fantastique, social, La Symphonie des spectres est aussi un thriller. Le précédent propriétaire de la maison de Peter est mort dans d’étranges circonstances. Mickelsson apprend qu’il menait une enquête et va vouloir en savoir un peu plus. Mais quand la curiosité pointe son nez, les cadavres s’amoncellent.

Et à travers ce contexte fourmillant, Peter Mickelsson dont le comportement suscite de plus en plus d’interrogations. Qu’en est-il de ses fantômes dans sa maison ? Sont-ils dus à ses hallucinations liées à la consommation excessive d’alcool ? Ou bien à un don de préscience ? Ou Mickelsson ne serait-il pas tout simplement fou ?
John Gardner, s’identifiant partiellement à son personnage, nous invite à une véritable dissection psychologique. Dans les remerciements, il mentionne Joyce Carol Oates dont on connaît le talent et la profondeur psychologique qu’elle donne à ses personnages. John Gardner ne procède pas autrement et va encore plus loin. Il pousse son personnage au-delà des frontières qu’il s’est fixées à lui-même, celles de la moralité. Le résultat est bluffant et digne d’un roman de Dostoievski ( et je n’exagère absolument pas !)
Quant au style, j’ai souvent pensé à Philip Roth. John Gardner est un tantinet aussi bavard mais quelle plume ! Quelle précision !
Bourré de références littéraires et philosophiques, la lecture de La Symphonie des spectres n’est pas facile, parfois déroutante en particulier lors de longues digressions dont on ne semble pas voir le bout. Les profanes en philosophie comme moi risquent de s’y perdre notamment lorsque l’auteur nous invite à assister aux cours du professeur Mickelsson et aux débats qu’il engage avec ses étudiants. Mais quel régal lorsqu’on a la force de tenir et de poursuivre son chemin ! Quel choc de voir ce personnage s’embourber dans ses problèmes, d’assister ainsi, impuissant, à sa propre autodestruction.
Le lecteur est prisonnier du cerveau torturé de Mickelsson, on s’y perd complètement et on ne sait plus que croire. Le personnage nous laisse perplexe tant il semble s’obstiner dans le malheur alors que les solutions sont à portée de main. Mickelsson nous entraîne avec lui, malgré nous, dans cette danse macabre.

Je ne peux donc que vous conseiller la lecture de ce roman magistral à l’atmosphère si troublante et dont on ressort complètement envoûté. 


« Mickelsson s’enterrait volontairement dans les dettes et le chaos financier. Cela entrait dans sa colère contre l’ensemble du monde, contre die Welt, dans le sens particulier à Heidegger : la société, les valeurs et les exigences traditionnelles. Que cela lui plût ou non, il se sentait pareil à Gulliver chez les Lilliputiens. Il avait daigné se comporter comme monsieur Tout-le-monde, achetant ce que la télévision lui disait d’acheter, donnant à sa femme ce que sa position d’épouse de professeur exigeait, et le résultat était qu’il se retrouvait pareil à un géant ligoté par des ficelles. Plutôt que de couper ces liens un à un, avec une patience de fourmi, il préférait mourir sur place et pourrir sur la colline à laquelle il était attaché, en espérant que sa douce puanteur chasserait les Lilliputiens de leur île. »



jeudi 13 novembre 2014

Nouvelles acquisitions et autres joyeusetés

Un léger mieux dans mes finances m’a permis de me faire plaisir ( enfin !) et de faire une petite descente en librairie. J’en suis revenue avec 6 livres au total, 4 que je voulais et 2 qui se sont invités.



  • L’Homme qui rit – Victor Hugo
Après avoir été éblouie par ma lecture des Travailleurs de la mer, je voulais poursuivre avec Victor Hugo. Claudialucia m’ayant indiqué que L’Homme qui rit était son préféré de l’auteur, j’ai tout de suite voulu l’ajouter à ma PAL. De plus, il pourra entrer dans le challenge Victor Hugo dont je vous parle plus bas.

  • Aurélien – Aragon
C’est Auriane qui m’a parlé d’Aragon me disant qu’elle voulait absolument le lire. Elle m’avait mentionné un titre mais bien entendu je ne l’ai pas retenu et je n’ai pas pris le bon. C’est pas grave, elle l’a dans sa PAL aussi !

  • Le paysan parvenu – Marivaux
J’avais adoré La vie de Marianne bien que frustrée par le fait qu’il soit inachevé ( celui-ci l’est aussi je crois). Je voulais donc renouer avec Marivaux coûte que coûte. Je m’aperçois que je n’ai pas chroniqué La vie de Marianne. Mais je ne peux que vous encourager à le lire, il est passionnant. Il m’avait donné envie de lire La Religieuse de Diderot ( ce que j’ai fait mais là encore, pas de chronique …)

  • Le Désespéré – Léon Bloy
J’ai un ami sur Facebook qui a des lectures qui sortent de l’ordinaire et qui a tendance à bourrer sa page de citations. C’est lui qui m’a donné envie de lire Bloy ( et bien d’autres encore …). Je n’ai pas pu m’empêcher de lire la première page et je peux vous dire que je trépigne d’impatience de le lire. ( c’est là que je me dis qu’il faut que j’arrête les partenariats et toutes ces lectures que je m’impose sans en avoir réellement envie au détriment des titres de ma PAL que je veux lire absolument )

  • Mars – Fritz Zorn
J’en avais pas mal entendu parler sur le forum que je fréquentais avant sans que ça me donne particulièrement envie de le lire. Là, je le vois et par curiosité je le feuillette et en lis quelques passages. Et hop, dans le panier. J’espère ne pas m’être trompée !

  • La montagne de l’âme – Gao Xingjian
Même chose que pour Mars. Les passages que j’ai lus m’ont donné l’impression que ce livre invitait pas mal à la réflexion. C’est peut-être de la philosophie  « de comptoir », je ne sais pas trop, on verra bien. Et puis ça me fera un prix Nobel de plus à mon actif.



Challenges et lectures communes :



Le Challenge Tous Risques poursuit son bonhomme de chemin. Plus que deux semaines avant le bouclage de la première session. Pas d’inquiétude, j’accepte les retards ! Pour l’instant, 6 participations ont été validées sur 17 inscrits. Pour ma part, j’ai terminé ma lecture, il ne me reste qu’à écrire et publier mon billet ( attention, coup de cœur ! ). La 2ème session sera annoncée le 1er décembre.









 Le Challenge Victor Hugo a été repris par Claudialucia et Moglug. Je m’y suis bien sûr inscrite de suite. Plusieurs étapes sont prévues et je vous invite à aller jeter un œil à ce que nos organisatrices ont concocté.







Le Non-Challenge des pépites de l'année organisé par Galéa suit son cours. Galéa a effectué un premier bilan avec déjà quelques belles pépites. Je vous invite à aller voir, de bonnes idées lecture vous attendent peut-être. Pour ma part, j'ai repéré La Peau de l'ours de Joy Sorman dont j'avais déjà beaucoup aimé le précédent roman.




  • Avec Maggie, nous avons prévu une lecture commune autour du Prince de Machiavel pour le 15 décembre. Vous pouvez encore nous rejoindre si le cœur vous en dit.

  • Le Projet Madame Bovary organisé par Auriane continue. J’ai honte car je n’ai toujours pas avancé dans ma lecture. Je vous invite à consulter la chaîne Youtube d’Auriane dans laquelle elle vous conseille des podcasts autour de Flaubert et de son œuvre.

  • Je lance à nouveau un appel aux intéressés pour des lectures communes. J’en prévois une sur L’Homme qui rit pour fin janvier ( date à confirmer) et une autre sur Moby Dick pour mars ( à déterminer plus précisément ). J’aimerais bien trouver une âme courageuse qui serait partante pour lire avec moi L’Homme sans qualités de Robert Musil. Je ne me sens pas de me lancer dans l’aventure toute seule. Toutefois, si un titre de mes nouvelles acquisitions vous tente et que vous souhaitez en faire une LC, n’hésitez pas à me le dire ! Pareil si vous avez un titre en tête, proposez toujours !






dimanche 9 novembre 2014

Trois oboles pour Charon - Franck Ferric



J’adore la mythologie grecque ! D’ailleurs, il faudra bientôt que je vous parle d’un livre absolument génialissime sur le sujet.
Dans celui dont il est question ici, Franck Ferric nous propose une version revisitée d’une des nombreuses légendes composant la mythologie grecque. Je ne vous dévoile pas de laquelle il s’agit et je vous conseille de ne pas lire la 4ème de couverture qui a le grand tort d’annoncer le nom du principal protagoniste. J’aurais trouvé beaucoup plus amusant d’essayer de le deviner par moi-même tout comme ce protagoniste amnésique qui cherche à découvrir son identité.

Dans l’ensemble, je n’ai pas été complètement séduite par ce roman. Pourtant, il est admirablement bien écrit. Le style est recherché, très travaillé, parfois poétique. Ce qui détonne plutôt avec le contenu, violent, sanglant. Notre mystérieux personnage principal traverse les âges et, pour ces nombreux passages sur Terre, le voilà à chaque fois plongé en pleine guerre. Je me suis d’ailleurs amusée à tenter de reconnaître de quelle guerre ou bataille il s’agissait. L’issue est toutefois toujours la même, notre personnage y laisse la vie et se retrouve sur les rives du Styx en compagnie de Charon qu’il assaille de questions afin de comprendre ces incessants va-et-vient entre la vie et la mort.

Je ne peux vous en dire plus sans spoiler. Mais ce roman m’a plutôt laissée perplexe. Je n’ai pas vraiment compris ce que l’auteur a voulu dire. Cherchait-il à démontrer l’absurdité de l’existence de l’humanité condamnée à reproduire inlassablement les mêmes erreurs encore et encore comme si elle perdait le souvenir de ses fautes et ne pouvait en tirer des leçons ? Cherchait-il à montrer l’absurdité des croyances en des prétendues divinités découragées qui semblent avoir, au fil des siècles, abandonné leurs protégés à leur entêtement et leur bêtise ? Ou tout simplement à pointer du doigt le fait que les hommes n’ont pas besoin d’eux et que certains savent très bien gérer leur vie et ses aléas sans avoir recours à une entité supérieure ? Mais autant dire que l’être humain n’a pas le beau rôle dans ces pages où tous ces vices sont mis en avant.

Bref, j’ai fermé ce livre avec ces questions. Le côté répétitif des passages sur Terre de notre personnage et la véritable identité du personnage central semblent appuyer mes suppositions.( Et puis c’est souvent ainsi que la légende originale est interprétée). Malheureusement, le procédé, bien qu’original, devient assez lassant à la longue et j’avais hâte d’en finir. La fin est amère, sans espoir et il en ressort une espèce de mélancolie ajoutée à l’incompréhension qu’elle m’inspire.

En résumé, la première moitié du roman est très bonne. On est sous le charme de la plume délicate de Franck Ferric et on découvre cet univers qui nous fait côtoyer de près quelques heures sombres de l’Histoire. J’y ai même appris des choses.
Mais le récit, dans la deuxième partie, s’essouffle et l’intérêt du lecteur avec. C’est dommage d’autant plus qu’il interroge sur de nombreux thèmes : la mémoire, l’identité, le sens de la vie, nos croyances etc… et que son contexte historique est bien documenté et retranscrit. En tout cas, voilà un auteur français très prometteur.

« Maintenant que j’en étais réduit à me briser l’échine pour du vent, j’éprouvais une certaine compassion pour ces hommes et ces femmes que j’avais si longtemps déconsidérés ou malmenés. Pas plus que la mienne, leurs vies n’avaient eu de sens. Et je me sentais subitement assez confus d’avoir tant méprisé ceux qui n’avaient pas eu assez de moyens pour se révolter contre ça. A la fin de leur vie, sentant la mort arriver, avaient-ils eu le temps de mesurer la valeur de leur vécu à l’aune des images laissées par leurs souvenirs ? S’étaient-ils posé cette question qui me taraudait depuis des jours : à quoi bon tout cela ? Avaient-ils jugé que malgré l’absurdité de leurs existences, celles-ci avaient malgré tout valu le coup d’être vécues ? »
Merci aux éditions Denoël pour la découverte.

Trois oboles pour Charon - Franck Ferric
Editions Denoël - collection Lunes d'encre
301 pages
Parution : 16/10/2014



mercredi 5 novembre 2014

A mains nues - Paola Barbato



Je me suis parfois demandée si je serais capable de tuer. De sang-froid certainement pas ( en plus je tourne de l’œil à la vue du sang …) mais dans une situation de survie, je pense que oui.
C’est en tout cas comme ça que ça a commencé pour Davide. Enlevé puis retenu à l’arrière d’un fourgon dans l’obscurité totale, il s’aperçoit bien vite qu’il n’est pas seul et que cette autre personne dont il ressent la présence n’a qu’une idée en tête : le tuer.
Davide se retrouve alors condamné à se battre, prisonnier d’une mystérieuse organisation dont la spécialité est le combat de chiens. Sauf qu’ici, les chiens sont des êtres humains. Désormais, Davide n’a plus le choix, il doit se battre et tuer ou être tué.
Minuto, un des membres de l’organisation chargé de repérer les « chiens », se prend d’affection pour le jeune homme en qui il voit un grand potentiel et le prend sous son aile.
De combat en combat, l’influence de Minuto sur Davide est grandissante, Davide, de jeune adolescent de bonne famille mort de peur et d’horreur, devient Batiza, un combattant demandé et un assassin qui prend plaisir à tuer .


Paola Barbato, scénariste pour la télévision italienne, signe là une effroyable exploration des limites de l’humanité. Peut-on transformer un agneau en loup sanguinaire ? La réponse est oui et la démonstration bestiale et violente. Sans aller jusqu’à détailler les scènes, Paola Barbato suggère et laisse le pouvoir de l’imagination faire le reste. Le résultat est effrayant, choquant, perturbant. Tout au long de ma lecture, j’ai oscillé entre fascination morbide et rejet absolu. La violence psychologique de certaines scènes m’ont fait sortir de mes gonds. J’étais sur le point d’abandonner, scandalisée par cette violence gratuite. J’accusais Paola Barbato de vouloir donner dans la facilité, provoquer, choquer délibérément, de vouloir faire du sous Bret Easton Ellis ( je mentionne cet auteur non pas que Paola Barbato s’en inspire mais tout simplement parce que c’est le dernier auteur en date à m’avoir infligée un tel dégoût à la lecture de certains passages ).
Mais j’ai poursuivi, obnubilée par la volonté de savoir comment ça se terminerait, ce qu’il adviendrait de Davide. Le lecteur se retrouve en position de voyeur en proie à une espèce d’envoûtement malsain.
La mort intrigue toujours, comprendre comment on peut être amené à donner la mort attire. Est-ce que la façon dont l’auteur traite le sujet est pertinente ? Difficile à dire sans être spécialiste en psychologie. Au premier abord, j’ai eu du mal à y croire mais je me dis que les conditions de détention subies par Davide, la pression et la violence psychologique dont il a été victime sont probablement bien capables de conditionner un être humain et de le réduire à la sauvagerie.
Je ne sais pas non plus si ces combats de chiens humains sont une réalité. Je sais qu’il existe des combats clandestins mais où les combattants sont volontaires ce qui n’est pas le cas ici. Etant donné la perversité de certains programmes de télé-réalité, ça ne m’étonnerait pas que de telles horreurs aient réellement lieu dans l’ombre et qu’il y ait des gens assez tordus pour cautionner ça. En fait, le roman de Paola Barbato a quand même un côté réaliste qui fait froid dans le dos. On se refuse à y croire. Cette question de la crédibilité du scénario m’a tout de même pas mal turlupinée jusqu’à ce que je me dise que finalement, l’essentiel n’était pas là. L’essentiel est de comprendre que la transformation de Davide est, elle, crédible, rendue possible par son attachement à son mentor Minuto, relation emblématique d’un syndrome de Stockholm.
D’ailleurs, même le lecteur est fasciné par Minuto, personnage très charismatique, énigmatique et qui domine largement tout le roman.

Le style de Paola Barbato n’en est pas vraiment un, ça reste simple mais fluide et efficace. L’auteur est scénariste et ça se ressent principalement dans l’enchaînement des scènes, les dialogues et certains détails. Mais on a tout de même entre les mains un vrai page-turner et malgré ma violente répulsion à certains passages, je reprenais toujours ma lecture avec hâte et fébrilité.
La fin est en apothéose. Malgré mes quelques soupçons, je suis restée bouche bée à la lecture des dernières lignes. Une claque ! Comme je les aime.

Alors bien sûr, ce roman ne s’adresse pas à tout public. Dans la veine de Karine Giebel, de certains titres de Stephen King et quelques relents de Hunger Games ou Battle Royale, A mains nues est un roman pour lecteurs avertis, un roman noir, choquant mais efficace qui joue avec les nerfs et la conscience de son lecteur.
C’est un roman qui sollicite les bas instincts et les confronte avec la morale. Sommes-nous tous capables de franchir la limite ?

Bref, ce roman mériterait d’être porté à l’écran. David Fincher, si tu me lis, ce scénario est pour toi. Mon mari cinéphile t’a même mâché le travail, je lui ai résumé l’intrigue et lui ai brossé le profil des deux personnages principaux, voici donc ses suggestions pour le casting principal :

-         Willem Dafoe dans le rôle de Minuto ( et c'est tout à fait comme ça que je l'imaginais)
-         Spencer Lofranco dans le rôle de Davide/Batiza

(Dommage que le roman ne soit pas encore traduit en anglais, je le lui aurais bien envoyé …)


Un grand merci aux éditions Denoël !



A mains nues - Paola Barbato
Editions Denoël - Collection Sueurs froides
Traduit de l'italien par Anaïs Bokobza
496 pages
Parution : 9/10/2014

dimanche 2 novembre 2014

2666 - Roberto Bolaño


Un des commentaires sur Amazon ( 1 étoile ) :
« Près de 1000 pages de tripotage intellectuel vaseux et stérile, un vide abyssal, un ennui profond. 30 euros et je ne sais pas encore si je conserverais "l'ouvrage" même pour caler un pied d'armoire, tant il m'a semblé calamiteux!!! A MOI Césaire, sauve moi de "ça". »
Réponse d’un lecteur à ce commentaire :
« Pas étonnant qu'un admirateur de Césaire (l'improbable), ne comprenne rien à Bolaño, la quête d'utilitarisme conduit, elle à l'abysse. »

Si ces commentaires m’ont interpellée c’est que je crois bien, moi aussi, n’avoir rien « compris » à Bolaño. On m’avait « vendu » 2666 comme un chef d’œuvre et les qualificatifs élogieux ne manquent pas lorsqu’on lit la plupart des avis : roman-monde, roman total, roman fou etc etc…
Vous l’avez compris, je ne partage pas l’enthousiasme et l’extase générale suscités par ce roman. J’en attendais probablement trop, autre chose en tout cas c’est certain. Non, en fait le problème c’est que j’en attendais tout simplement quelque chose, rien de précis mais au moins quelque chose et que, finalement, il ne s’est rien passé, je n’ai rien retiré de ma lecture.
C’est pourquoi j’ai voulu vous faire part des deux commentaires amazon ci-dessus.
« La quête d’utilitarisme conduit, elle à l’abysse. »
Ayant lu ces mots, je me suis dit que j’étais une lectrice « utilitariste », j’attends obligatoirement quelque chose de mes lectures, j’ai besoin qu’elles me soient « utiles », que j’en retire un enseignement, une réflexion, des informations, la beauté des mots voire même simplement un beau moment de rêve et de détente. Mais je ne conçois vraiment pas la lecture comme une activité stérile, lire pour lire, sans rien attendre en retour.

2666 ne m’a rien apporté, vraiment rien. Le style n’a rien d’exceptionnel, la construction est on ne peut plus frustrante ( peut-être dû au fait que le roman est inachevé …), je n’ai rien appris, je n’ai pas été invitée à la réflexion ( ou alors je n’ai pas vu l’invitation car d’autres apparemment l’ont vue). L’auteur multiplie les genres au sein d’un même roman, c’est bien mais ça n’a rien d’inédit, bref je ne comprends pas l’engouement général …

2666 se compose de 5 parties destinées d’abord à être publiées séparément, cette décision initiale de l’auteur, qui se savait malade, visait à assurer l’avenir économique de sa famille. Après sa mort, par souci de respecter l’œuvre dans sa globalité, les éditeurs ont choisi de passer outre la volonté de l’auteur et de publier ainsi les cinq parties ensemble.

La première partie m’a franchement déroutée, je me suis même demandée si mon exemplaire n’avait pas été victime d’une erreur d’impression. L’action se déroule en Europe, on suit les péripéties amoureuses d’un quatuor d’universitaires tous fascinés par l’œuvre d’un mystérieux écrivain allemand. Leur quête les conduit jusqu’au Mexique, à Santa Teresa, où les meurtres en série de jeunes femmes terrorisent la population.
Les deux parties suivantes s’attachent chacune à un personnage précis. D’abord, un mexicain dont l’auteur nous retrace la vie, père célibataire vivant dans la crainte que sa fille ne soit victime du tueur en série. Ensuite, un jeune journaliste américain est chargé de couvrir un match de boxe au Mexique. Il entend parler des meurtres, un sujet en or pour un journaliste comme lui.
La quatrième partie retrace dans le détail toutes les circonstances de chaque meurtre perpétré à Santa Teresa. Ce sont des dizaines et des dizaines de meurtres qui s’enchaînent sans interruption. Cette partie m’a beaucoup impressionnée car on aurait pu craindre la lassitude à force de répétition mais pas du tout. On est littéralement plongé en plein roman noir. La partie précédente avait commencé à éveiller ma curiosité et mon intérêt, je dois avouer que cette partie-ci n’a fait que les accroître considérablement.
Je pensais donc apprendre enfin le fin mot de l’histoire ( au bout de 1000 pages !) dans la dernière partie, celle consacrée à ce mystérieux écrivain. Après donc le roman noir, on se retrouve en plein récit de guerre. J’ai bien aimé cette partie où le tableau commence à s’éclaircir.

Finalement, je me suis quand même plutôt ennuyée durant les ¾ du livre. J’en suis ressortie frustrée car bien qu’il y ait un fin fil conducteur entre les parties, on ne retrouve plus du tout les personnages d’une partie à l’autre, je m’attendais à ce qu’il y ait un lien, des explications mais je suis restée avec mes questions. A la fin, on a bien une idée de l’identité du coupable mais rien n’est affirmé et le fait que le roman soit inachevé se fait bien sentir.

Concernant la série d’assassinats, elle est inspirée de faits réels. Pour connaître l’histoire, je vous conseille le film «  Les oubliées de Juarez » avec Antonio Banderas et Jenifer Lopez. Ayant déjà vu le film avant cette lecture, vous comprenez que le sujet du roman de Bolaño n’avait rien d’original pour moi.

Je crois que c’est Joachim qui avait souligné l’influence de Gabriel Garcia Marquez chez Bolaño et c’est vrai, je l’ai remarquée de temps à autre. La dernière partie m’a aussi beaucoup rappelé Kaputt de Malaparte dont il faudra que je vous parle prochainement alors que la toute première partie nous plonge plutôt dans une ambiance digne des auteurs européens tels Zweig, Musil, Marai … Je reconnais donc le talent de Bolaño d’avoir su aussi habilement manier les genres.

C’est terrible, c’est limite si je ne m’excuse pas de ne pas avoir aimé. Alors certains diront que je n’y connais rien en littérature ( et dans ce cas qu’on m’explique ce que signifie «  s’y connaître en littérature » ), que je suis une inculte et que je suis dénuée de toute intelligence etc … ( j’y ai eu droit lors de l’affaire « plug anal de MacCarthy »). Mais voilà, c’est comme ça, je me suis ennuyée, je n’ai rien appris, je suis très déçue et je ne dois pas avoir la même définition du « chef d’œuvre » que la plupart des gens. J’ai mentionné Kaputt tout à l’heure, eh bien Kaputt pour moi EST un chef d’œuvre.



Addendum :

Je me suis rendue compte que je reprochais aux avis élogieux de ne pas être précis concernant les raisons de leur "orgasme littéraire" mais que mon avis tombait dans le même travers.
Je vais donc essayer d'être plus explicite.
Je dis dans le corps de mon article que les différentes parties du roman sont finalement très peu liées entre elles. A vrai dire, j'ai même carrément eu l'impression qu'on sautait parfois du coq à l'âne. Je n'ai vraiment pas compris pourquoi Bolaño avait procédé ainsi et ce qu'il cherchait à montrer. J'ai cru comprendre, en lisant d'autres articles, que 2666 est dans son ensemble un roman sur le Mal, je veux bien mais je ne vois en quoi c'est le cas concernant notamment les trois premières parties. A moins de considérer le Mal sous son acceptation religieuse et d'y inclure donc les plans à trois, les sports de combat etc ...
Ce que je reproche également à ce roman c'est de vouloir apparemment toucher à plein de choses sans les approfondir. Je fais partie des lecteurs qui aiment lorsqu'un auteur décortique et analyse à fond son sujet. Ce n'est pas du tout le cas ici et j'ai d'ailleurs du mal à déterminer quel est le sujet, l'objectif, la raison d'être de ce roman. J'ai une sensation de superficialité, de survol alors que j'aime plutôt la profondeur.
Enfin dernier point, j'ai une grande prédilection pour les romans coups de poing et les romans surprises. C'est d'ailleurs le critère principal de ma propre définition du chef d'oeuvre. Et ici, j'ai attendu et attendu en vain la "surprise", ce moment où tu te dis " Waouh !". Ce roman a pour moi manqué de force, de panache, je l'ai trouvé terne et sans relief. Je suis restée en dehors. Je n'ai pas ressenti d'atmosphère particulière.
Voilà donc essentiellement pourquoi 2666 n'est selon moi pas un chef d'oeuvre.





mardi 23 septembre 2014

Mon année Salinger - Joanna Smith Rakoff



Je regarde régulièrement la chaîne Youtube des Déblogueurs et particulièrement les chroniques vidéos de Gérard Collard et c’est dans l’une d’entre elles que j’ai repéré ce récit.

J’avais un peu peur, au début, de ne pas pouvoir tout comprendre car je n’ai encore jamais lu Salinger ( mais ça va venir ! ) mais finalement ça n’a pas été gênant et ça a eu surtout pour effet de me donner une furieuse envie de découvrir cet auteur.

Le récit de Joanna Smith Rakoff est un récit autobiographique (avec quelques aménagements ) dans lequel elle nous raconte sa première expérience professionnelle en tant qu’assistante de la directrice d’une grande agence littéraire new-yorkaise.
Si vous connaissez Le Diable s’habille en Prada, eh bien sachez que c’est un peu le même genre mais transposé au monde de l’édition.
On découvre ainsi les coulisses de l’édition et le fonctionnement d’une agence littéraire américaine. Je suppose que ça doit être assez similaire en France mais cette agence où Joanna a fait ses premières armes était quand même assez particulière et dénotait un  peu dans le paysage par le refus obstiné de sa directrice de suivre le progrès et la modernité.
A l’heure ( nous sommes dans les années 90) où tous ses concurrents travaillent déjà à grand renfort d’informatique et d’internet, l’Agence (avec un A majuscule) utilise encore les bonnes vieilles machines à écrire et les dictaphones. Mais Joanna se plaît beaucoup dans cette atmosphère feutrée où le temps semble s’être arrêté et où les livres s’empilent sur de vieilles mais solides étagères en bois mais ce serait sans compter sur une directrice pas très commode et au caractère bien trempé.

Pourtant l’Agence est sur le déclin et si elle parvient, tant bien que mal à garder la tête hors de l’eau, c’est qu’elle est l’agence attitrée du plus célèbre et adulé écrivain du pays : Salinger.
Chargée de filtrer les appels pour sa directrice et de trier et répondre au courrier des fans, Joanna va peu à peu se familiariser avec l’univers et la personnalité de ce grand écrivain devenu alors un vieil homme qui cherche à s’isoler du monde extérieur et à rester à l’écart d’une célébrité qu’il ne maîtrise pas et qui l’effraie. Elle est alors encore loin de s’imaginer que cette rencontre aura un grand impact sur sa vie privée et professionnelle.

J’ai beaucoup apprécié cette jolie lecture. J’aime ces livres qui parlent de littérature, Joanna nous fait part de sa vision des choses sur ce domaine qui la passionne à travers son emploi mais aussi à travers sa vie intime puisque son petit ami travaille à un premier roman. L’influence qu’aura eu cette année passée au sein de l’agence est très visible et bien rendue. J’ai parfois eu du mal à éprouver de la sympathie pour Joanna au tout début. Sa naïveté envers son compagnon et sa façon de juger et condamner le mode de vie de ceux qui l’entourent m’ont parfois exaspérée. La découverte et la lecture des écrits de Salinger lui auront heureusement permis de revenir sur ses positions et d’envisager son avenir de façon plus raisonnable. Comme quoi, la littérature peut changer une vie.

Un grand merci aux éditions Albin Michel.





samedi 13 septembre 2014

Dernières acquisitions, challenges et lectures communes


  • Il y avait longtemps que je n'avais pas partagé avec vous mes dernières acquisitions. Comme vous le savez, elles sont devenues beaucoup plus rares faute de budget et je privilégie donc ma PAL. Néanmoins, il m'arrive encore de craquer de temps à autre. Je vous présente ici les petits nouveaux auxquels je n'ai pu résister :


- 2666 de Roberto Bolano : après avoir lu les articles de Juan Asensio sur ce livre, j'ai tout de suite eu envie de l'acquérir. J'ai vraiment hâte de découvrir ce qui semble être un véritable monument de la littérature !

- Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry : J'en avais beaucoup entendu parler et l'avis de Jérôme a achevé de me décider.

- Solaris de Stanislas Lem : je ne pouvais pas résister après avoir lu l'avis élogieux de Loesha. Et puis Juan Asensio m'a confirmé qu'il s'agissait d'un chef d'oeuvre du genre.

- Moby Dick de Melville : un grand classique qui me faisait un peu peur et cette fois, c'est une vidéo de Barry Pierce qui m'a convaincue de m'y mettre. Je pense organiser une LC autour de ce titre mais je ne sais pas encore quand. Dites-moi toujours si vous êtes intéressés.

- Les passagers anglais de Matthew Kneale : trouvé par mon homme chez le bouquiniste, connaissant mon goût pour les romans historiques, il a pensé que ça me plairait et je pense qu'il a eu raison !

Et deux autres craquages postérieurs à la photo :

- Anima de Wajdi Mouawad : fortement recommandé par les membres de mon ancien forum et aussi par ma copine Nymou.

- La Peau de Malaparte : Après avoir lu et adoré Kaputt ( dont vous aurez bientôt mon avis), j'ai eu très envie de lire son autre chef d'oeuvre.

Et deux emprunts à la médiathèque :

- Le camp des saints de Jean Raspail sur les conseils de Joachim.

- L'homme pressé de Paul Morand ( je ne sais plus où je l'avais repéré celui-ci)

  • J'ai aussi eu la chance d'être invitée à la remise des talents à découvrir des magasins Cultura. A cette occasion, j'ai pu repartir avec les 6 titres récompensés par l'opération. Cultura s'engage à promouvoir et soutenir ces 6 romans durant toute une année. Je ne manquerai pas, j'espère, d'apporter ma modeste contribution en vous faisant part de mes avis sur ces lectures qui semblent en tout cas plutôt prometteuses. Voici les lauréats :




- Le Clan suspendu de Etienne Guerreau :

Ismène, Polynice, Antigone et Hémon sont les enfants de la deuxième génération. Ils vivent dans le Suspend, un village dans les arbres accroché à dix mètres de hauteur. La vie quotidienne y est régie selon des rites immuables, des traditions bien ancrées – comme celle qui consiste à répéter inlassablement Antigone , la tragédie qu’il faut connaître sur le bout des doigts – et surtout, une règle stricte : ne jamais descendre du Suspend. Car en bas règne l’ogresse, une créature sanguinaire à l’affût de ceux qui s’aventurent sur son territoire…

- Un jeune homme prometteur de Gautier Batistella :

Tout commence à Labat, petit village des Pyrénées. Orphelin rêveur et blessé par un premier amour déçu, le narrateur quitte son frère et leur enfance buissonnière pour monter à l’assaut de la capitale. Que cherche ce Rastignac en herbe démangé par la vocation romanesque ? Une mère inconnue, la liberté, une revanche, la gloire peut-être. Mais au lieu du noble parnasse littéraire dont il avait rêvé, il découvre un univers de fauxsemblants : celui des grands imposteurs du monde des lettres. Bien décidé à s’en débarrasser, le voici embarqué dans une quête dangereuse qui l’entraînera au-delà de lui-même, au bout du monde et au bord de la folie.

- Le bonheur national brut de François Roux : on en parle beaucoup dans les médias donc je vous épargne le résumé.

- La Fractale des raviolis de Pierre Raufast :

Il était une fois une épouse bien décidée à empoisonner son mari volage avec des raviolis. Mais, alors que s’approche l’instant fatal, un souvenir interrompt le cours de l’action. Une nouvelle intrigue commence aussitôt et il en sera ainsi tout au long de ces récits gigognes. Tout ébaubi de voir tant de pays, on découvre les aventures extraordinaires d’un jeune garçon solitaire qui, parce qu’il voyait les infrarouges, fut recruté par le gouvernement ; les inventions stratégiques d’un gardien de moutons capable de gagner la guerre d’Irak ; les canailleries d’un détrousseur pendant l’épidémie de peste à Marseille en 1720 ou encore la méthode mise au point par un adolescent sociopathe pour exterminer le fléau des rats-taupes.

- Constellation d'Adrien Bosc : on le voit énormément sur la blogosphère, je vous épargne donc encore une fois le résumé.

- Le cercle des femmes de Sophie Broca : une saga familiale, un roman de femmes avec secret de famille, tout ce qui, en général, ne m'attire pas du tout. On verra bien.

Parmi ces 6 titres, les 4 premiers me font donc très envie. Les deux derniers un peu moins mais sait-on jamais. Je pense commencer par La Fractale des raviolis dont l'auteur est le seul à être venu à notre rencontre. La lecture de la première page du livre m'a énormément accrochée. J'espère vous en parler très bientôt.








  • Au niveau des lectures communes, je suis inscrite à celle organisée par Biblekisssbible autour de Madame Bovary de Flaubert. Si vous êtes intéressés, vous êtes les bienvenus. Je vous disais aussi que je comptais lancer une LC autour de Moby Dick, amateurs, faites-vous connaître ! Si vous avez d'autres LC à me proposer, n'hésitez pas à m'en toucher un mot en commentaire.