jeudi 27 février 2014

Le Diable, tout le temps - Donald Ray Pollock



Un pauvre gosse subissant le fanatisme religieux de son père et la maladie puis la mort de sa mère.
Un couple de dingos qui se la joue Mickey et Mallory en version pervers.
Un autre duo de dingos déguisés en pseudo-prédicateurs.
Un shérif corrompu.
Un curé amateur de jeunes filles.
Voilà en gros le genre de personnages que l’on côtoie dans Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock.
Que du beau monde !

J’avais attendu impatiemment la sortie de ce livre en poche après en avoir lu la critique enthousiaste chez jérôme. Ce livre avait en effet tout pour me plaire. Sauf que j’ai finalement été plutôt déçue.
Il faut dire que le contexte et le milieu dans lequel Pollock plonge ses intrigues et ses personnages ( l’Amérique profonde des dégénérés alcoolos pervers et cumulant toutes les tares et tous les vices possibles) m’a fortement rappelé une autre œuvre se déroulant dans le même milieu et que j’avais adorée : Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf. Et forcément, ma lecture a fortement souffert de cette comparaison involontaire avec ce chef d’œuvre.

Tout d’abord, le style. Je l’ai trouvé trop plat, lisse et sans relief. Ça manque de dynamisme, de panache. Pourtant ça se lit bien, je dois le reconnaître mais le ton n’est pas du tout raccord avec le propos et j’ai eu l’impression que ça sonnait faux. Je n’étais pas dedans, j’étais tenue à distance et j’assistais froidement à ces évènements et péripéties qui auraient au moins dû me procurer quelques émotions. Mais non, rien.

Pourtant, le premier tiers du roman démarre sur des chapeaux de roue et promettait un coup de cœur. Cependant le rythme s’essouffle progressivement et mon intérêt s’est considérablement relâché dans le deuxième tiers. Heureusement, Pollock a su me ferrer à nouveau pour son final même si ça restait quand même assez téléphoné. A noter également quelques scènes chocs habilement menées mais qui n’ont pas suffi à sauver ce livre pour moi.

Dernier point enfin : je n’ai pas saisi ce que l’auteur a voulu dire. Est-ce qu’il avait d’ailleurs un message à faire passer ? J’aurais aimé une invitation à la réflexion, quelques petites phrases dignes d’être citées. J’ai bien compris qu’il s’était attaché à décrire les bassesses humaines dans toute leur splendeur illustrant plutôt le règne d’un Diable omnipotent, contrôlant des vies desquelles Dieu serait le grand absent malgré les nombreuses prières qui lui sont adressées. Mais dans ce cas, que penser de l’issue de tout ça, de cette fin ? Bref, je reste perplexe.

Rendez-vous manqué donc avec ce roman quand même assez bien ficelé pour conserver l'attention du lecteur jusqu’au bout mais je ne peux me défaire de ce sentiment de déception. J'en attendais apparemment beaucoup trop.


vendredi 14 février 2014

Les Versets Sataniques - Salman Rushdie



Chronique à ne pas lire si vous souhaitez lire ce livre en le découvrant pleinement car j’y évoque dans les grandes lignes quelques points de l’intrigue.

Décidément, je semble avoir un sérieux penchant pour les romans riches et complexes. Les Versets Sataniques, c’est le genre de roman dont on peut être certain qu’on ne s’ennuiera pas à la relecture, bien au contraire, on risque probablement d’y découvrir de nouveaux détails, de nouveaux clins d’œil, de nouvelles pistes de réflexion.
Lire ce roman nécessite de gros efforts intellectuels tant sur le plan de la concentration que de la réflexion.
Comprendre, voilà le défi qu’on se lance en se plongeant dans les pages de l’œuvre de Rushdie, comprendre ce qu’il a voulu dire, comprendre en quoi ça a pu choquer et provoquer les évènements que l’on connaît, cette fatwa lancée par l’ayatollah Khomeini, ces assassinats ( les traducteurs italiens et japonais, le recteur de la mosquée de Bruxelles), émeutes et manifestations, autodafés, sans parler de l’impact sur la vie de Rushdie et sa famille.

Un avion à destination de Londres explose en plein vol à la suite d’une attaque terroriste. Deux hommes survivent : Gibreel Farishta et Saladin Chamcha. Le premier est un acteur très célèbre en Inde, une véritable icône de Bollywood. Le second, indien également, vit en Angleterre et travaille dans le doublage de voix. Tous deux survivent à l’explosion mais non sans conséquences. Saladin voit son corps se métamorphoser : cornes, poils drus sur tout le corps, queue, sabots. Face à cette incarnation du Cheytan ( le Diable), Gibreel, qui avait perdu la foi, est victime de rêves curieux et d’hallucinations, le voilà dans la peau de l’Ange Gibreel, l’Ange de la révélation des versets coraniques au prophète Mahound.

Non, je ne me suis pas trompée, c’est bien ainsi que le nomme Salman Rushdie. Car entre les chapitres relatifs aux aventures des deux personnages principaux, Rushdie nous emmène, à travers les rêves de Gibreel, au temps des débuts de l’Islam et nous transmet donc de façon romancée la légende, rapportée par Tabari, des versets sataniques, épisode très controversé et non authentifié de l’histoire de la Révélation.

Du fait qu’il s’agisse d’une légende, Salman Rushdie a modifié certains points comme le nom du prophète, ici Mahound, le nom de la ville de La Mecque, ici Jahiliya ( qui désigne en réalité la période préislamique, celle où , à La Mecque, on vénérait les idoles), le nom du principal adversaire du prophète Abou Sofiane, ici nommé Abou Simbel en référence aux temples égyptiens dédiés au culte du pharaon Ramsès II ( le pharaon supposé avoir chassé Moïse et les Juifs d’Egypte).
Il est donc indispensable pour comprendre pleinement ces chapitres de bien connaître l’histoire du prophète et de l’Islam à ses débuts. D’autant plus qu’il y a certaines choses qui sont erronées, je ne sais pas du tout si c’est intentionnel ou non. Mais je le précise afin que les futurs lecteurs ne prennent pas tout pour argent comptant. Il s’agit d’une version fictionnelle et modifiée pour les besoins du roman de la vie du prophète Muhammad.

Londres, La Mecque mais aussi la pampa argentine, Bombay et l’Inde, l’Himalaya et l’Everest, autant dire que l’auteur nous fait voyager. On est trimballé dans le temps, dans l’espace sans ménagement. Ce roman foisonne donc de lieux, mais aussi de personnages, de thèmes, de réflexions, d’évènements, de références culturelles aussi bien historiques que religieuses, mythologiques et littéraires ( les Mille et une nuits en particulier mais bien d’autres également). La construction et le style n’aident pas le lecteur à s’y retrouver. Salman Rushdie semble s’amuser à nous désorienter, passe d’un sujet à l’autre sans crier gare, nous ressort un détail évoqué quelques 300 pages auparavant ( et on se casse la tête à le retrouver parce que, bon, mince, ça nous dit quelque chose ça, c’était où, qui, comment ? zut quoi !) Comment ça je n’étais pas assez concentrée ?? Je vous mets au défi de lire ce roman sans vous y perdre ne serait-ce qu’une fois ! Mais, heureusement, j’aime ça, ça m’amuse autant que l’auteur qui a su me surprendre plus d’une fois et qui a l’art et la manière de nous faire devenir chèvre (ou bouc ?) en ménageant ses effets tel un magicien.

Un magicien qui sait ce qu’il fait ( Rushdie a travaillé 4 ans sur ce livre), tout est réfléchi, rien n’est anodin. A l’exemple de cet épisode où Gibreel rêve d’un petit village indien dont les habitants sont envoûtés par une jeune femme – prophétesse qui les convainc de partir en pèlerinage à La Mecque à pied et que pour cela, Dieu fera s’ouvrir la mer devant eux. Vous riez ? Eh bien, sachez que Rushdie s’est inspiré d’un fait réel ( daté de 1983 et les pauvres bougres sont tous morts noyés). De nombreux éléments du roman trouvent leur origine dans la réalité, le personnage de Gibreel Farishta fait référence à un célèbre acteur indien en vogue à l’époque, l’une de ses hallucinations mettant en scène un imam exilé opposé à une impératrice dont il prend la place au lendemain d’une révolution est une allusion évidente à Khomeini et la révolution iranienne de 1979. Le contexte politique et social de l’Angleterre est également très présent, notamment la question de l’immigration.

« Alors c’est comme ça que vous accueillez les nouveaux venus. Pas comme des égaux, mais comme des gens qui doivent faire ce qu’on leur dit. »

Les Versets Sataniques, c’est le roman de l’adversité, de la lutte : les musulmans contre les incroyants, le fils contre le père, le mari contre sa femme, le blanc contre le noir, le Bien contre le Mal …Roman de la lutte et de tout ce qui s’y rattache : la vengeance, la trahison, la jalousie, le pardon. Et Salman Rushdie de nous montrer que rien n’est tout blanc ou tout noir, il détruit des préjugés à travers l’exemple de cette famille indienne musulmane établie en Angleterre dont le père est un croyant fervent. On pourrait supposer son épouse soumise ( gros cliché très courant concernant les musulmanes) mais bien au contraire, c’est une vraie matrone ! Ses filles sont la parfaite illustration de l’intégration aux mœurs occidentales.
Salman Rushdie dénonce l’intolérance, le racisme, le fanatisme religieux. Mais à travers Saladin, celui qui se voulait plus britannique que les britanniques, il montre le conflit intérieur dû à la confrontation entre deux cultures.

Je m’arrête là car je pourrais en parler encore pendant des pages et des pages. Et pourtant, j’avais effectué une première tentative de lecture, soldée par un abandon au bout du premier chapitre. Un chapitre plutôt farfelu, qui, associé au style très libre de Rushdie, m’avait effrayé.
Cette fois-ci, je suis allée au bout et j’ai véritablement adoré ma lecture. On oscille entre rêve et réalité, on se sent parfois perdu mais Salman Rushdie nous ramène toujours vers le chemin. On sent qu’il a mis de lui dans ce roman ( dans lequel il s’est attribué un rôle bien précis), sa propre expérience nourrissant son propos.

Etant musulmane reconvertie et confrontée moi aussi à deux cultures, ce roman a pris pour moi beaucoup de sens. Oui, c’est vrai, Salman Rushdie malmène le prophète et la religion musulmane mais je n’ai pas senti de haine ni de volonté clairement affichée de l’attaquer de la part de l’auteur. C’est surtout le fanatisme et l’extrémisme qu’il pointe du doigt.
Premièrement, il s’agit d’un roman, d’une fiction et deuxièmement, il évoque des points sur lesquels n’importe quel croyant a pu se poser des questions. D’ailleurs, le Coran invite très souvent le croyant à raisonner et réfléchir. Comment réfléchir sans se poser de questions et donc douter ?
Et puis très sincèrement, je vois des commentaires dans les médias bien plus irrespectueux et insultants envers l’Islam que ce qu’a écrit Salman Rushdie dans ce livre. Mais je pense qu’il est tout de même  primordial de bien connaître les bases de l’Islam et de son histoire avant de commencer la lecture de ce roman.

Les Versets Sataniques restera assurément pour moi un roman inoubliable, une grande expérience littéraire à renouveler.


jeudi 13 février 2014

La maison de terre - Woody Guthrie



C’est sans connaître ce monsieur Woody Guthrie que j’ai entamé ma lecture de La maison de terre. Je découvre alors un auteur qui a indéniablement un talent pour l’écriture. Entre poésie et rythme, sa plume nous berce, nous secoue et nous emmène dans les contrées arides mais époustouflantes des plaines du Texas. Un cadre aux allures de désert où tout semble désolé, les descriptions sont d’un réalisme étonnant, on sent le vent et la poussière, on voit ces boules d’herbe rouler et tourbillonner sur ce sol sec et parfois rocailleux. Un milieu aux conditions de vie difficile, les fermiers s’entassent dans de petites maisonnettes en bois prêtes à s’écrouler telle la maison du petit cochon qui ne résiste pas au souffle puissant du vilain méchant loup.

Le vilain méchant loup a ici plusieurs visages : le vent et la poussière, la pluie, le froid, les insectes qui se faufilent à travers les interstices malgré les tentatives désespérées des occupants pour les calfeutrer.
La maison de terre c’est un aperçu de la vie quotidienne d’un couple de ces fermiers dans les années 30, une vie que Woody Guthrie a lui-même connue. Pour encore plus de réalisme, il retranscrit les dialogues dans un langage familier et argotique, le langage des gens de là-bas, de ces gens simples qui luttent au quotidien pour leur survie.

Car il n’y a pas que les éléments auxquels ces gens doivent faire face. Le dernier visage du vilain méchant loup est celui de ces grands propriétaires, de ces banquiers, de ces capitalistes qui s’approprient les terres et réduisent les fermiers à l’indigence. Woody Guthrie dénonce ce fléau, à l’instar de John Steinbeck, le système capitaliste, la spoliation des fermiers contraints au métayage puis soit au départ vers d’autres régions d’espérance ( comme dans Les raisins de la colère) soit à rester et se battre. Et c’est cette option dont Woody Guthrie nous parle.
Car il y a une solution : la maison de terre. Comme au Mexique. Ces maisons faciles à construire et qui protégeraient leurs occupants du vilain méchant loup.
On apprend d’ailleurs dans l’excellente postface du livre que Woody Guthrie a consacré une bonne partie de sa vie à faire la promotion de la maison de terre.

Tout au long de ce roman, la maison de terre est l’obsession de notre jeune couple, leur rêve, leurs espoirs.
Autant être franche, il ne se passe pas grand chose dans ce roman. Le lecteur est plongé dans l’intimité du couple et devient lui-même un habitant de la maisonnette en bois. Il y a même un petit côté voyeuriste notamment lors de cette scène d’ébat sexuel qui a bien failli avoir raison de moi. C’est cru, pas un brun romantique, jusque dans les détails. Heureusement il n’y en a qu’une comme celle-là. Passé le cap, on se laisse embarquer par le rythme du style et on se prend d’affection pour ces deux personnages dont on ressent très bien l’attachement et l’amour.

La cerise sur le gâteau, c’est cette postface corédigée par Johnny Depp et Douglas Brinkley dans laquelle ils nous racontent la vie de Woody Guthrie, analysent ce roman La maison de terre et nous expliquent les conditions et raisons de sa publication si tardive.
J’ai découvert donc en Woody Guthrie un auteur talentueux, un homme courageux et engagé à travers ses chansons mais aussi ses actions.
Un très beau et touchant moment de lecture pour lequel je remercie Babelio et les éditions Flammarion.