mercredi 28 mai 2014

Un barrage contre le Pacifique - Marguerite Duras



Ma première lecture de Marguerite Duras remonte à presque vingt ans. J’avais lu L’Amant suite à l’étude d’un extrait pour le bac ( j’étais même tombée dessus à l’oral). Le souvenir que j’en garde se limite à des impressions dues au cadre de l’intrigue, l’Asie coloniale, la chaleur, l’atmosphère lourde, quelques visions de persiennes laissant filtrer les rayons du soleil et les clameurs de la rue mais aussi et surtout un profond ennui.
A l’occasion du centenaire Marguerite Duras, j’ai lu Un barrage contre le Pacifique et j’ai bien cru que j’en retirerai la même chose. D’une manière générale, j’ai trouvé ma lecture assez difficile, surtout au tout début. Il m’a fallu près de la moitié du roman pour me plonger dedans et m’adapter au style. J’étais assez perplexe, j’avais l’impression de lire un livre écrit à deux mains. Des passages au style pauvre et maladroit alternant avec des envolées de toute beauté. Les personnages sont au premier abord assez antipathiques et pas du tout attachants. Leur vulgarité et leur vénalité m’ont choquée presque plus que leur misérable condition et leur malchance.

La première moitié du roman se consacre principalement à mettre en place les personnages et leur situation : une femme ayant perdu très tôt son mari doit se débrouiller pour pourvoir à ses besoins et ceux de ses enfants. D’abord institutrice à sa venue en Indochine, elle a du trouver d’autres postes pour nourrir les siens et se constituer un petit capital. Ce capital, représentant une bonne dizaine d’années d’économies, elle décide de l’investir dans une concession qu’elle s’engage à mettre en valeur et à cultiver. Malheureusement, son terrain est régulièrement recouvert par de hautes marées rendant toute culture impossible. Sa mésaventure ne semble pas être un cas isolé mais plutôt une arnaque bien rôdée profitant aux agents du cadastre et à l’administration coloniale. La mère et ses enfants tentent de survivre comme ils peuvent et attendent.
Ce roman est celui de l’espoir et de l’attente, l’attente de l’événement qui viendra changer leur condition, le miracle qui leur permettra de partir et de vivre enfin. La mère se démène et s’entête : la construction des barrages, ses entreprises pour caser sa fille, toutes ses tentatives se soldent par des échecs. Mais elle persiste jusqu’à s’en rendre malade et son impuissance la mène jusqu’aux portes de la folie.
L’ennui que l’on peut ressentir à la lecture de cette première partie reflète celui de cette famille qui voit les jours passer dans cette même et pénible attente, dans la lenteur du temps qui s’écoule quotidiennement tantôt à l’ombre du bungalow, tantôt sous la chaleur écrasante du bord de piste.

Tous les détails relatifs à la vie dans la colonie sont passionnants. Marguerite Duras brosse un portrait de l’Indochine coloniale bien loin de toute vision idyllique : la corruption des fonctionnaires coloniaux, la misère des petits colons, celle des indigènes, la ségrégation géographique des villes coloniales. Elle se livre à une véritable étude sociologique de la population coloniale, des habitants permanents, des agents de passages, les colons qui ont su profiter de la manne coloniale : plantations de latex, de riz, marchands de textiles, diamantaires, ceux qui sont contraints au trafic pour survivre : contrebande d’alcool, trafic de l’opium … A travers le personnage du caporal, les indigènes ne sont pas oubliés : la faim, la prostitution, la forte mortalité des enfants, les maladies sont autant de calamités que les colons ne cherchent même pas à enrayer.

Je disais donc que j’avais eu des difficultés à prendre les personnages en sympathie. Hormis la mère, qui ne peut que susciter la compassion par sa force, son courage et son espoir obstiné, j’ai trouvé Suzanne, sa fille, et Joseph, son fils, effroyablement égoïstes, vulgaires et comme le dit également M.Jo : immoraux. Ils semblent se moquer des efforts de leur mère et ne cherchent leur salut que par la fuite. Joseph attend qu’une femme et l’amour l’emmènent loin de cette vie dont il ne veut plus. Suzanne attend patiemment le long de la route qu’une des rares voitures s’arrête pour s’enfuir à son bord. Elle refusera deux bons partis auxquels elle ne s’intéressera que par intérêt et pour réconforter sa mère.
Malgré tout, peut-on les blâmer au vu des conditions de vie qui sont les leurs ? Au fur et à mesure qu’on avance dans le roman, on finit par les comprendre et on se laisse attendrir. La plume de Marguerite Duras se fait plus assurée, plus constante, plus incisive et rageuse. La lettre de la mère aux agents du cadastre est un véritable bijou, un cri de colère délectable. La longueur des chapitres s’adapte au rythme des événements et on ressent bien cette accélération dans la deuxième moitié du roman.

Le titre même du roman souligne le côté dérisoire de la situation : un seul petit barrage contre la force des flots d’un océan, reflet des efforts désespérés de la mère et qui semblent si insignifiants face aux obstacles de la vie : le pouvoir, les autorités, les éléments naturels, la société, la quête du bonheur, le dénuement matériel.

Au final, Un barrage contre le Pacifique est un roman  qui déroute et qui nécessite, tout comme la mère, de la patience et de l’obstination pour découvrir derrière une façade d’ennui et de simplicité, un récit engagé dont l’inspiration autobiographique renforce la puissance et le tragique.

Un grand merci à Anna et aux éditions Folio.

dimanche 25 mai 2014

Khadija - Marek Halter



Je connaissais Marek Halter de réputation sans n’avoir jamais tenté un de ses romans. Mais lorsque j’ai appris qu’il avait pour projet d’écrire une trilogie sur les femmes de l’islam comme il l’avait déjà fait pour le christianisme, je me suis décidée à enfin découvrir sa plume.
Surtout que le premier tome de la trilogie en question se concentre sur la figure féminine de l’islam que j’admire le plus : Khadija, la première épouse du prophète Muhammad.

A travers le portrait de cette très grande femme, c’est l’histoire des tous premiers temps de l’islam, celle de La Mecque préislamique et celle de la révélation, que nous conte Marek Halter.
Il fait resurgir la vie quotidienne de l’époque à travers ses divers aspects. Religieux bien sûr  avec d’abord l’omniprésence et le culte des nombreuses idoles de la Kaâba puis le bouleversement lié à la révélation. La vie politique et sociale est concentrée aux mains des chefs des plus grandes familles se réunissant à la mâla au cours de laquelle sont prises les décisions. Les caravanes et les marchés illustrent la vie économique mecquoise. Le lecteur est complètement immergé dans cette atmosphère d’une ville puissante du moyen-âge oriental.

Ce roman met à terre tous les préjugés qu’ont bien des gens sur les femmes musulmanes. En effet, Khadija était une femme de caractère, intelligente et dotée de grandes valeurs humaines. Veuve, elle avait hérité de la fortune de son mari et était ainsi à la tête d’une des familles les plus riches de La Mecque. Sa condition de femme ne lui permettant pas d’être présente à la mâla et d’ainsi pouvoir faire entendre sa voix, elle se devait de trouver un époux qui veillerait à la défense de ses intérêts et de ceux de la ville contre les vues d’Abou Sofiane et ses partisans. Ce qui ne l’empêchait pas de s’exprimer haut et fort dès qu’elle en avait l’occasion.
Khadija jeta son dévolu sur Muhammad qu’elle avait chargé de conduire ses affaires et de prendre part pour elle aux caravanes mecquoises.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agissait pas que d’une question d’intérêt. L’histoire entre Khadija et Muhammad était une magnifique histoire d’amour, pleine de tendresse, d’attachement, de confiance et de profond respect. Les doutes de chacun face à l’autre sont très touchants : complexée par son âge, Khadija craignait de déplaire au jeune homme, peu fortuné et illettré, Muhammad ne s’imaginait pas pouvoir susciter l’intérêt de la femme la plus belle et puissante de la ville.
A ceux qui critiquent les pratiques polygames du prophète, il faut savoir que, tant que Khadija était en vie, Muhammad lui a toujours été fidèle et n’a jamais pris d’autre épouse et ce , malgré toutes les tragédies vécues par le couple.



J’ai appris beaucoup de choses grâce à cette lecture alors que je pensais déjà en savoir pas mal sur le sujet. Par exemple, le rôle qu’ont joué l’oncle de Khadija et Zayd le fils adoptif de Muhammad. Waraqa, l’oncle de Khadija, était un imminent sage et avait en sa possession d’anciens manuscrits retraçant l’origine du monothéisme et l’histoire des précédents prophètes du judaïsme et du christianisme. Son étude de ses manuscrits a permis à Muhammad et ses proches d’inscrire la révélation dans la suite des précédents monothéismes. De même, Zayd était chrétien et sa profonde foi en un Dieu unique a aussi eu une influence sur la conviction des premiers musulmans.

En dehors de la question religieuse qui n’est pas centrale dans le roman puisque la révélation ne survient que dans les dernières pages, c’est toute une ville, ses habitants, ses querelles de faction, ses dangers qui revivent. Khadija doit mener ses affaires et s’imposer comme une égale aux hommes qui commandent la cité. Elle sera d’ailleurs la seule parmi les puissants à rester à La Mecque alors qu’une grave calamité s’abat sur la ville et à prendre en main les mesures nécessaires pour sauver la population.
Le roman est aussi l’occasion de faire de Muhammad un portrait juste, celui d’un homme droit et honnête, courageux et généreux, ayant un grand sens du relationnel, sachant ménager chaque parti et faire preuve d’équité.

Khadija est donc un roman remarquable loin de tout prosélytisme qui rend un bel hommage à une femme tout aussi remarquable. C’est aussi une façon intelligente et bien menée de raconter l’histoire de l’islam, surtout du point de vue des femmes, souvent victimes de préjugés ou de la sottise des hommes.
De plus, Marek Halter est un très bon conteur. On se laisse réellement emporter par sa plume qui parvient merveilleusement bien à créer une atmosphère particulière et l’on se sent voyager dans le temps et l’espace tantôt sous le soleil du désert, à travers les dunes tantôt au sein des rues fourmillantes de La Mecque.

En tant que musulmane, je n’ai rien relevé qui soit contraire ni à l’Histoire ni à la foi, ce qui est une prouesse de Marek Halter que d’avoir su concilier les deux !
J’ai lu dans une interview qu’il espérait, à travers ce roman, donner un modèle aux jeunes musulmanes d’aujourd’hui, un modèle qui les sorte de l’image des femmes opprimées et soumises que véhiculent les médias. Je souhaite de tout cœur que son objectif réussisse !
J’ai maintenant très hâte de lire le deuxième tome qui sera consacré à Fatima, la fille de Muhammad et, à travers elle, aux premiers heurts entre convertis et idolâtres.

Je remercie infiniment Cécile et les éditions Robert Laffont d’avoir accepté ce beau partenariat.

mardi 13 mai 2014

Pour quelques milliards et une roupie - Vikas Swarup



Imaginez qu’un inconnu vous aborde dans la rue pour vous proposer de lui succéder à la tête de son entreprise et d’ainsi hériter de plusieurs milliards. La proposition est assez hallucinante pour susciter d’emblée la méfiance. Surtout que la proposition inclut dans ses conditions la réussite à sept épreuves dont vous ignorez totalement la nature.
Sapna est une jeune femme pleine de bon sens en charge de sa famille marquée par les drames. Lorsque sa situation devient sans issue, elle n’a d’autre recours que d’accepter de signer ce qui s’apparente à un pacte avec le diable.

Conte de fées moderne ou mythe de Faust revisité et modifié, ce dernier roman de Vikas Swarup est mon tout premier de cet auteur. Malgré le succès colossal de ses précédents romans ainsi que du film « Slumdog Millionnaire », j’étais restée complètement en marge du phénomène et je n’ai aucun point de comparaison. Je ne peux donc vous dire si ce dernier opus est meilleur ou moins bon.
Néanmoins, j’ai passé un très bon moment de lecture malgré les gros défauts qui, en temps ordinaires, m’auraient probablement rebutée. Mais il faut croire que cette lecture tombait au moment où j’en avais besoin et c’est toujours avec plaisir que je reprenais le fil des aventures de Sapna après mes pauses.
Le principe des sept épreuves entraîne une construction du récit en plusieurs petites histoires certes liées entre elles, mais qui donnent une impression inégale. Je ne les ai pas toutes trouvées pertinentes ni similaires en qualité et en intérêt. Certaines donnent au roman un côté finalement trop artificiel et la sensation d’incohérence domine. Tout ne se tient pas et on a parfois du mal à y croire. Ça semble trop énorme ( mais l’idée principale du roman est déjà trop énorme en soi) et pas crédible. Toutefois, si on garde à l’esprit qu’on lit justement un conte, ce défaut se gomme et on passe outre pour se laisser embarquer dans l’aventure.
J’ai aussi beaucoup apprécié de me retrouver plongée dans la société indienne. Vikas Swarup semble en dresser un portrait sans langue de bois, évoquant et dénonçant les traditions barbares qui perdurent encore dans les campagnes, le statut fragile des femmes, des plus pauvres et des malades, les mariages forcés, les trafics d’organe et surtout la corruption et les scandales financiers. Mais d’un autre côté, ça fait justement un peu too much pour un seul livre.
Les personnages sont très attachants, Sapna et ses sœurs reflètent bien les profils de jeune fille les plus courants de notre société moderne : la romantique qui rêve d’amour, la superficielle et matérialiste qui rêve de gloire et de célébrité et la pragmatique qui garde les pieds sur terre et se tue à joindre les deux bouts. Chacune est alors confrontée aux inévitables épreuves liées à leur profil.
Finalement, les sept épreuves imposées à Sapna ne sont qu’un condensé des obstacles que la vie nous impose. Le tout a malheureusement un côté « donneur de leçon » qui peut agacer.

Malgré tout, j’ai beaucoup apprécié ma lecture. Ce roman de Vikas Swarup a représenté pour moi un très bon divertissement, l’évasion dont j’avais besoin loin du stress du quotidien.

Je remercie infiniment Babelio et les éditions Belfond pour cette lecture ( et je m’excuse de mon retard).