samedi 25 juillet 2015

Moi, assassin - Antonio Altarriba et Keko




Je ne lis pas souvent de BD ni de romans graphiques,  voire même quasiment jamais. J’ai une fâcheuse tendance à repousser ( à tord) tout ce qui est trop vite lu. Et je dois dire aussi que le prix des romans graphiques est un gros frein à ma volonté de changer cette tendance. Vous me direz qu’il y a les bibliothèques. Sauf que dans la mienne, dès qu’un roman graphique m’intéresse, j’en ai pour 6 mois d’attente tant la liste de réservation est longue ( et les nouveautés n’en parlons pas, le temps que ce soit votre tour, elle n’est plus du tout une nouveauté).

Mais il se trouve que, ayant des points sur ma carte Gibert à utiliser, j’ai pu me faire un petit plaisir et je me suis donc procurée le roman graphique Moi, assassin d’Antonio Altarriba et Keko aux éditions Denoël Graphic. Pourquoi ce titre et pas un autre ? Un tweet des éditions Denoël le présentant a attiré mon attention. Et quand je me suis penchée sur le synopsis, je me suis dit qu’il me le fallait absolument. Ce synopsis, le voici :


« Enrique Rodríguez Ramírez est professeur d’Histoire de l’Art à l’université du Pays Basque (où Altarriba a enseigné la littérature française). À 53 ans, il est à l'apogée de sa carrière. Sur le point de devenir le chef de son champ de recherches, en proie aux rivalités académiques, il dirige un groupe d'étude intitulé : «Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale.» Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Grosz, Ensor, Munch, Bacon sont ses compagnons de rêverie et la matière de son travail. Mais sa vraie passion, dans laquelle il s'investit à plein, est plus radicale : l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts. »


Moi qui me passionne pour l’histoire de l’Art et qui m’intéresse beaucoup à la question du Mal et de la cruauté, vous pensez bien qu’un tel sujet ne pouvait que susciter mon appétit !

Je m’attendais donc à trouver de nombreuses références culturelles et effectivement elles y sont, aussi bien dans le domaine de la littérature (romans, essais) que de la peinture dont Rodriguez Ramirez est un spécialiste. Seulement, il ne faut pas s’attendre à y trouver un bref résumé. Ces références ne sont souvent mentionnées que par leur titre, soit dans le corps de texte soit dans les dessins. Même si ça m’a un peu déçu au début, j’ai vite apprécié le fait d’avoir à chercher par moi-même de quoi il s’agissait. Et on se retrouve alors avec une belle pile de livres dans lesquels fureter.

La reproduction de certaines toiles est aussi impressionnante. J’ai redécouvert une partie de l’œuvre de Goya et vu sous un autre angle certaines toiles au sujet religieux. Certains dialogues entre les personnages proposent d’intéressantes pistes de réflexion sur le lien entre l’Art et la cruauté. Mais il faut avouer que le plus passionnant reste quand même la leçon d’Enrique Rodriguez Ramirez sur l’art de tuer, comment s’y prendre et pourquoi. On se surprend à acquiescer à la logique et la pertinence de certaines de ces idées et sa conception du meurtre. Il nous explique sa façon de raisonner et  pourquoi il fait de l’acte de tuer une activité artistique unique.

Plus globalement, les auteurs nous proposent une définition de l’Art loin de la conception académique qui le restreint à la notion de beauté et ne se limitent pas à ce seul sujet puisque l’action se situe dans un contexte politique et universitaire bien précis. Le poste d’Enrique est mis à mal par les querelles de départements sur la question du rôle et de la définition de l’Art. A tout ça s’ajoute les controverses autour de l’indépendance du Pays Basque et des activités de l’ETA.

Les dessins sont minimalistes, le noir et le blanc dominent, quelques touches de rouge attirent l’œil sur les organes, le sang et la pomme ( symbole du péché originel ?). J’avoue que le travail de Keko spécialiste du clair-obscur ne me plaisait pas particulièrement au début mais finalement j’ai trouvé qu’il apportait une touche de réalisme et était tellement en accord avec le sujet par sa concision et sa  noirceur que des dessins plus élaborés et colorés auraient dénaturé le tout en l’entachant d’un côté superficiel qui n’aurait pas été à son honneur.

Au final, Moi, Assassin est un très bon roman graphique, efficace et intelligent. Je déplore seulement la fin ouverte qui m’a laissée sur ma … faim.




mercredi 22 juillet 2015

La Perle et la Coquille - Nadia Hashimi





La condition des femmes en Afghanistan, Nadia Hashimi n’est pas la première à l’évoquer et on se demande bien ce qu’on pourrait apprendre de plus et d’où pourrait venir l’originalité d’un roman sur le sujet. Eh bien, Nadia Hashimi a su la trouver cette originalité.
La Perle et la Coquille met en parallèle le destin de deux afghanes liées par le sang à un siècle d’intervalle. 

Rahima est une jeune femme qui nous est contemporaine. Durant son enfance, sa famille lui a fait prendre le statut de bacha posh : lorsqu’une famille n’a pas de descendants mâles, on déguise une des filles en garçon. Ce procédé a de multiples avantages dans une société patriarcale où la femme reste cantonnée à la maison et à ses tâches ménagères. La petite fille ainsi transformée en petit garçon peut accéder à l’instruction en allant à l’école, peut courir et jouer librement dans la rue, peut effectuer les courses au marché pour sa mère, bref, en tant que bacha posh, Rahima goûte et savoure une liberté dont ses sœurs et sa mère sont privées.

Le destin bascule le jour où Rahima n’a plus l’âge de continuer à jouer cette comédie dont personne n’est dupe au village mais sur laquelle tout le monde ferme les yeux. C’est aussi ce moment que choisit son père pour la donner en mariage au seigneur de guerre pour lequel il travaille. Rongé par l’opium et condamné à la pauvreté, le père de Rahima se débarrasse ainsi de ses filles qu’il voit comme autant de bouches inutiles à nourrir.
Rahima devient alors la quatrième épouse d’un homme violent, sans cœur pour qui les femmes ne sont que des procréatrices et des esclaves domestiques. Au sein même du groupe des femmes de la maison, la jalousie et les brimades sont le quotidien de Rahima. Elle ne trouve son unique source d’apaisement et d’espoir que dans le récit que lui fait sa tante de la vie de son aïeule Shekiba. Un récit qui pour Rahima se révélera salutaire à plus d’un titre.

En effet, les destins des deux femmes comportent de multiples points communs malgré l’écart entre leurs époques. Les similitudes se retrouvent jusque dans la description des traditions religieuses et du statut de la femme en Afghanistan. J’ai longtemps pensé que le régime des Talibans n’avait été qu’une « nouveauté » dans l’histoire afghane, que l’islam rigoriste et extrémiste imposé par le régime atteignait pour la première fois de telles proportions. Mais le récit de Shekiba nous apprend qu’au XIXème siècle, les traditions barbares et le mépris du genre féminin officiaient déjà. Le port de la burka par exemple était déjà de mise alors que dans mon esprit il était une innovation des Talibans. La lapidation publique de la femme adultère faisait là aussi déjà partie des peines encourues et froidement appliquées.

Dans ce roman, la cruauté, l’injustice, la violence que subissent ces femmes nous nouent la gorge. Le style n’est certes pas des plus remarquables. On peut aussi lui reprocher d’être moins dans l’émotion que les romans de Khaled Hosseini. Pas de pleurs, d’apitoiement suscités chez le lecteur mais une profonde et sourde colère avec une étincelle d’espoir. Un espoir porté par ces quelques femmes qui osent parler  et affronter les hommes de leur entourage, ces autres qui ont le courage de dénoncer les magouilles politiques et la corruption d’un parlement simulacre mais signe des premiers pas du pays vers la démocratie. 

J’ai compris grâce à ce roman que le régime des Talibans n’était qu’un retour à d’anciennes traditions et pratiques, que l’Afghanistan des années 70 n’avait été qu’un court répit mais qu’il avait été possible. Tout comme avait été possible la réforme apportée par la montée au pouvoir du shah Amanullah Khan dont l’épouse a osé pour la première fois ôter son voile en public.
La Perle et la Coquille est donc un magnifique roman dont la lecture nous apprend énormément. L’histoire de Shekiba nous transporte dans le temps dans un Afghanistan aux airs des Mille et Une Nuits. Par chapitres alternés, le sort de Rahima répond à celui de son ancêtre et modèle. L’exemple de ces femmes au courage extraordinaire, l’importance de l’instruction, la volonté d’hommes à l’esprit ouvert constituent la base d’un possible changement. L’Histoire l’a prouvé, ce changement peut se reproduire de nouveau. 

Je ne peux donc que vous conseiller ce roman porteur d’espoir et qui offre une autre vision originale de l’Afghanistan, de sa culture et de ses mœurs, de sa vie politique. Vous plongerez dans le quotidien cruel et misérable des femmes afghanes, vous connaîtrez l’enfermement, vous arpenterez les couloirs du palais du Shah, vous assisterez aux séances parlementaires,  et surtout vous remercierez Dieu/la chance/le destin/le hasard de vous avoir fait naître en occident.

Un grand merci à Babelio et aux édition Milady pour ces belles heures de lecture.