mardi 31 mai 2016

L'Art de lire et l'Art de bloguer



Voilà près d’un an que je n’ai rien publié sur ce blog ni donné signe de vie. La raison en est que j’ai passé mon année à préparer un diplôme qui nécessite normalement 2 ans de préparation. Autant vous dire que le rythme était intense et que pendant un an ma vie sociale a disparu, je n’ai pu lire que deux ou trois livres et je n’ai pas honoré certains de mes engagements. A ce propos, je tiens à présenter mes sincères excuses à :

  • Tous les participants au challenge tout risque que j’ai lâchement abandonnés sans aucune explication.

  • Ingannmic avec qui j’avais programmé une lecture commune sur Don Quichotte de Cervantès, lecture commune que je n’ai pas honorée ( j’ai bien lu l’œuvre mais n’ai pas écrit de billet). Je n’ai même pas répondu à son dernier mail. Ingannmic, si tu passes par ici, je te demande pardon à genoux.
  • Tous ceux qui ont laissé des commentaires sur ce blog ou m’ont envoyé des mails et auxquels je n’ai pas répondu.

Aujourd’hui, je reviens, maintenant que j’en ai presque terminé avec mes examens et que j’ai pu reprendre mon activité préférée : la lecture.
Mais la question se pose concernant la reprise de ce blog. Je me souviens qu’avant même de commencer ma formation, mes billets se faisaient de plus en plus rares et je me posais déjà la question de continuer ou non à bloguer.
En effet, mon approche personnelle de la lecture s’est modifiée et donc l’intérêt que je peux avoir à  bloguer également. J’ai envie d’en discuter avec vous et d’avoir votre avis sur ces questions. Pour cela, je vous propose un petit texte extrait de Un Art de vivre d’André Maurois concernant l’art de lire. 


« … La lecture est active. Lit pour son plaisir l'amateur de romans qui cherche dans les livres, soit des impressions de beauté, soit un réveil et une exaltation de ses propres sentiments, soit des aventures que lui refuse la vie. Lit pour son plaisir celui qui aime à retrouver dans les moralistes et les poètes, plus parfaitement exprimées, les observations qu'il a faites lui-même, ou les sensations qu'il a éprouvées. Lit pour son plaisir enfin celui qui, sans étudier telle période définie de l'histoire, se plaît à constater l'identité, au cours des siècles, des tourments humains. Mais la lecture a ses règles. Indiquons-en quelques unes.
La première c'est qu'il vaut mieux connaître parfaitement quelques écrivains et quelques sujets que superficiellement un grand nombre d'auteurs. Les beautés d'une œuvre apparaissent toujours mal à la première lecture. Il faut, dans la jeunesse, aller parmi les livres comme on va dans le monde, pour y chercher des amis, mais ces amis trouvés, choisis, adoptés, il faut, avec eux, faire retraite. Être le familier de Montaigne, de Saint-Simon, de Retz, de Balzac ou de Proust, suffit pour enrichir une vie.
La seconde est de faire, dans ses lectures, une grande place au grand texte. Bien sûr, il est nécessaire, autant que naturel de s'intéresser aux écrivains de son temps; c'est parmi eux que nous avons chance de pouvoir trouver des amis ayant les mêmes soucis et les mêmes besoins que nous. Mais ne nous laissons pas submerger par le flot de petits livres. Le nombre des chefs-d’œuvre est déjà tel que nous ne les connaîtrons jamais tous. Faisons confiance au choix des siècles. Un homme se trompe ; une génération se trompe ; l'humanité ne se trompe pas. Homère, Tacite, Shakespeare, Molière, sont certainement dignes de leur gloire. Nous leur donneront quelques préférences sur ce qui n'a pas subit l'épreuve du temps.
La troisième, c'est de bien choisir sa nourriture. A chaque esprit conviennent des aliments qui lui sont propre. Apprenons à reconnaître ceux qui sont NOS auteurs. Ils seront fort différents de ceux de nos amis. En littérature, comme en amour on est surpris par le choix des autres. Soyons fidèle à ce qui nous convient. Nous sommes en cela les meilleurs juges.
La quatrième, c'est de mettre autour de nos lectures, toutes les fois que cela est possible, l'atmosphère de recueillement et de respect qui entoure un beau concert, une noble cérémonie. Ce n'est pas lire que de parcourir une page, de s'interrompre pour répondre au téléphone, de reprendre le livre alors que l'esprit est ailleurs, de l'abandonner jusqu'au lendemain. Le vrai lecteur se ménage de longues soirées solitaires ; il réserve, pour tel écrivain très aimé, l'après-midi d'un dimanche d'hiver ; il est reconnaissant au voyage en chemin de fer de lui donner l'occasion de relire tout d'un trait un roman de Balzac, de Stendhal, ou les Mémoires d'Outre-Tombe. Il trouve un plaisir aussi vif à retrouver telle phrase, tel passage qu'il aime (dans Proust, les aubépines ou la petite madeleine, dans Tolstoï, les fiançailles de Levine), que l'amateur de musique a guetté, dans le Petrouchka de Strawinsky, le thème du magicien.
Enfin la cinquième règle, c'est de se rendre digne des grands livres, car il en est de la lecture comme des auberges espagnoles, et de l'amour : on y trouve ce qu'on y apporte. La peinture des sentiments n'intéresse que ceux qui les ont éprouvés, ou ceux qui, jeunes encore, en attendent l'éclosion avec espoir et angoisse. Rien de plus émouvant que de voir une jeune personne qui, l'an dernier, ne supportait que les récits d'aventures, se prendre tout à coup d'un goût vif pour Anna Karénine, ou Dominique, parce qu'elle sait désormais ce que sont le bonheur et la douleur d'aimer. Les grands hommes d'action sont bons lecteurs de Kipling, les grands hommes d'état, de Tacite ou de Retz.
L'art de lire, c'est pour une grande part, l'art de retrouver la vie dans les livres et de la mieux comprendre grâce aux livres. »


Ce texte m’a beaucoup fait réfléchir sur mon rapport à la lecture, pourquoi je lis, comment je lis etc… On pourrait commencer par rebondir sur la question de l’existence de règles concernant la lecture et opposer à celles d’André Maurois les droits du lecteur de Daniel Pennac, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Ce qui m’intéresse c’est surtout le contenu de ces règles.
Selon Maurois et sa règle n°1, on devrait se focaliser sur une poignée d’auteurs exclusivement plutôt que papillonner. Cette règle m’interpelle car j’ai lu la même idée dans Les Lettres à Lucilius de Sénèque (lettre II):


« La lecture d’une foule d’auteurs et d’ouvrages de tout genre pourrait tenir du caprice et de l’inconstance. Fais un choix d’écrivains pour t’y arrêter et te nourrir de leur génie, si tu veux y puiser des souvenirs qui te soient fidèles. C’est n’être nulle part que d’être partout. Ceux dont la vie se passe à voyager finissent par avoir des milliers d’hôtes et pas un ami. Même chose arrive nécessairement à qui néglige de lier commerce avec un auteur favori pour jeter en courant un coup d’œil rapide sur tous à la fois. La nourriture ne profite pas, ne s’assimile pas au corps, si elle est rejetée aussitôt que prise. Rien n’entrave une guérison comme de changer sans cesse de remèdes ; on n’arrive point à cicatriser une plaie où les appareils ne sont qu’essayés. On ne fortifie pas un arbuste par de fréquentes transplantations. Il n’est chose si utile qui puisse l’être en passant. La multitude des livres dissipe l’esprit. Ainsi, ne pouvant lire tous ceux que tu aurais, c’est assez d’avoir ceux que tu peux lire. « Mais j’aime à feuilleter tantôt l’un, tantôt l’autre. » C’est le fait d’un estomac affadi, de ne goûter qu’un peu de tout : ces aliments divers et qui se combattent l’encrassent ; ils ne nourrissent point. Lis donc habituellement les livres les plus estimés ; et si parfois tu en prends d’autres, comme distraction, par fantaisie, reviens vite aux premiers. Fais chaque jour provision de quelque arme contre la pauvreté, contre la mort, contre tous les autres fléaux ; et de plusieurs pages parcourues, choisis une pensée pour la bien digérer ce jour-là. »


Pourtant on m’a toujours dit : «  Mieux vaut savoir un peu sur beaucoup de choses que beaucoup sur pas grand-chose. » Du coup, j’avoue avoir eu une forte tendance au papillonnage littéraire, notamment à l’époque où j’ai commencé ce blog et découvert la blogosphère. Mais finalement, ça s’est essoufflé et j’ai maintenant envie de me concentrer aussi sur quelques auteurs, de lire toute leur œuvre et de m’en imprégner. 

Mais se posent alors les questions suivantes : Quels auteurs choisir ? Est-ce que je ne risque pas de rater des auteurs et des lectures très enrichissantes si je fais de mauvais choix ?
Je me souviens d’avoir eu une discussion similaire avec Auriane. La vie est courte, la production littéraire immense. On ne peut pas tout lire ( malheureusement !) et il faut donc faire des choix. Mais encore faut-il faire les bons et avoir assez papillonné et découvert pour se faire une idée de ce qui nous correspond le mieux. Voilà qui rejoint la 3ème règle de Maurois. 

Concernant la 2ème règle, elle a été largement débattue déjà ici ou là. Je reconnais être plutôt d’accord avec Maurois. Et c’est une des raisons qui font que je ne me sens plus à ma place sur la blogosphère. Je ne lis quasiment plus de contemporains et encore moins de nouveautés ( j’ai même abandonné les partenariats) et je ne trouve plus de blogs qui correspondent à mes goûts : les classiques. Vous me direz quel est l’intérêt de bloguer sur des œuvres qui ont déjà fait l’objet de tant d’études et de la part de personnes bien plus qualifiées que nous ? Certes, mais voilà, c’est ce que je cherche, discuter des grandes œuvres. Connaître les avis sur les récentes parutions ne m’intéresse plus. J’ai peut-être tort de laisser complètement de côté les nouveautés mais j’ai fait ce choix en me disant que les « Anciens » ont déjà répondu aux questions que je me pose et que leurs réponses ont été assez pertinentes pour nous parvenir à travers les siècles alors autant leur faire confiance.

Parce que oui, je ne lis pas simplement par plaisir ni pour me divertir. Une bonne histoire bien racontée ne me suffit plus ( même si de temps en temps je ne dis pas non mais je suis alors hyper exigeante). Je lis pour comprendre le monde qui m’entoure, comprendre la nature humaine, pour ma culture personnelle, pour le goût de la réflexion et parce que j’aime me faire des nœuds au cerveau (tendance maso) et que j’aime apprendre.

C’est pour ses raisons que, concernant la règle 4, je ne peux pas lire n’importe où. J’ai besoin de calme, de pouvoir me concentrer sur ma lecture sur une longue durée. Je suis incapable de lire dans les transports ( ou alors il me faut un trajet de minimum une heure sans correspondance). J’ai besoin de pouvoir m’installer confortablement et d’avoir tout sous la main : stylo, papier pour noter, de quoi boire et manger etc… ça me rappelle d’ailleurs l’incipit de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino. C’est exactement ça.


« Si par une nuit d'hiver un voyageur …Tu vas commencer le nouveau roman d'Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Écarte de toi toute autre pensée. Laisse le monde qui t'entoure s'estomper dans le vague. La porte, il vaut mieux la fermer; de l'autre côté, la télévision est toujours allumée. Dis-le tout de suite aux autres : « Non, je ne veux pas regarder la télévision ! » Parle plus fort s'ils ne t'entendent pas : « Je lis ! Je ne veux pas être dérangé. » Avec tout ce chahut, ils ne t'ont peut-être pas entendu : dis-le plus fort, crie : « Je commence le nouveau roman d'Italo Calvino ! » Ou, si tu préfères, ne dis rien ; espérons qu'ils te laisseront en paix. Prends la position la plus confortable : assis, étendu, pelotonné, couché. Couché sur le dos, sur un côté, sur le ventre. Dans un fauteuil, un sofa, un fauteuil à bascule, une chaise longue, un pouf. Ou dans un hamac, Si tu en as un. Sur ton lit naturellement, ou dedans. Tu peux aussi te mettre la tête en bas, en position de yoga. En tenant le livre à l'envers, évidemment. Il n'est pas facile de trouver la position idéale pour lire, c'est vrai. Autrefois, on lisait debout devant un lutrin. Se tenir debout, c'était l'habitude. C'est ainsi qu'on se reposait quand on était fatigué d'aller à cheval. Personne n'a jamais eu l'idée de lire à cheval ; et pourtant, lire bien droit sur ses étriers, le livre posé sur la crinière du cheval ou même fixé à ses oreilles par un harnachement spécial, l'idée te paraît plaisante. On devrait être très bien pour lire, les pieds dans les étriers ; avoir les pieds levés est la première condition pour jouir d'une lecture. »


Donc voilà, pas de lecture dans les transports, pas de lecture aux cabinets ni dans les salles d’attente pour moi.

J’espère que tout ce qui précède ne sera pas interprété comme étant du snobisme littéraire. Je tenais juste à vous exposer ma conception de la lecture et, peut-être, ainsi vous comprenez mieux mon éloignement de la blogosphère.
Toutefois, je me pose encore la question de la fermeture définitive de ce blog. L’envie de conserver une trace de mes lectures ne se discute pas mais pourquoi le faire via le blog ? Pour l’échange. Mais quand d’échanges il n’y a point, à quoi bon ? Ce blog est très peu fréquenté et les personnes ayant des goûts et des lectures similaires assez rares. Et c’est sans compter le temps passé ( perdu ?) à écrire des articles, la pression que je me mets toute seule pour écrire des articles assez construits et qui m’invite surtout à procrastiner …

Je tiens à remercier chaleureusement tous mes lecteurs et ceux à qui je dois mes plus belles découvertes depuis l’ouverture de ce blog. Je pense à Jérôme et Marie notamment mais il y en a d’autres. Je remercie aussi les éditeurs qui m’ont accordé leur confiance.

N’hésitez surtout à me dire ce que vous pensez de tout ça, vous pouvez aussi reprendre le texte de Maurois, en faire un tag, que sais-je … Et si par hasard vous vous trouvez dans des dispositions identiques aux miennes, manifestez-vous ! Je vous accueillerais à bras grands ouverts !