dimanche 28 juillet 2013

Les Démons ( Les Possédés) - Fédor Dostoïevski



J’avais renoncé à rédiger un avis sur Crime et châtiment. Je ne me sentais pas du tout de taille à parler d’un monument pareil et d’autres l’ont fait beaucoup mieux que je n’aurais pu le faire.
Mais voilà que la question s’est reposée après ma lecture des Démons. Et j’ai décidé de quand même en parler parce qu’il est beaucoup moins lu que son illustre petit frère alors que pourtant je l’ai trouvé bien supérieur.

Néanmoins, c’était pas gagné. La première moitié du roman m’a semblée longue et je n’avais aucune idée de où Dostoïevski voulait m’emmener. Il faut dire que je n’avais pas lu de résumé avant et que je n’avais donc aucune idée de quoi ça parlerait. Donc pendant cette première moitié, impossible de déceler une véritable intrigue. Oh si, il y a bien ce personnage au comportement très étrange, Stavroguine mais Dostoïevski ne nous révèle rien. Certains dialogues entre les personnages sont très obscurs car ils s’entretiennent d’un sujet dont on ignore tout. Dostoïevski nous laisse sur la touche, on ronge son frein, on se pose plein de questions et on continue d’avancer parce que, non vraiment, on veut savoir ce qu’ils manigancent tous.

Peu à peu, on comprend bien que ça complote, qu’il s’agit de politique, de révolution. L’occasion pour Dostoïevski de faire part de ses inquiétudes quant à ces idées nouvelles qui circulent en Russie : athéisme, socialisme, fouriérisme, nihilisme.  Chaque personnage représentant plus ou moins une de ces tendances, Les Démons est donc une véritable analyse politico-sociale de la Russie du XIXème siècle, une Russie qui commence peu à peu les réformes, subissant l’influence de l’extérieur, une Russie qui se cherche et représente donc un terrain propice à l’émergence d’un nouveau système.
Dostoïevski est alors très surprenant puisqu’il va jusqu’à prévoir ce qu’il adviendra réellement après les révolutions de 1917 nous montrant par là à quel point ses inquiétudes étaient justifiées.

Plus on avance dans la lecture, plus l’atmosphère s’alourdit. Les personnages s’embourbent tous dans des situations difficiles puis les évènements se déclenchent et s’enchaînent. Coups d’éclat, actes de malveillance, assassinats, on est pris dans le tourbillon et on assiste impuissant à la descente en enfer de tous les personnages. Pas un seul n’en sortira indemne. On est très loin de l’issue optimiste de Crime et châtiment.
Les personnages des Démons sont tous très fouillés avec mention particulière pour Stavroguine dont la fameuse confession ( qui avait été censurée à l’époque) est à glacer le sang mais aussi Piotr Stepanovitch le personnage le plus exécrable qu’il m’ait été donné de rencontrer au cours d’une lecture. D’ailleurs, on retient souvent Stavroguine comme personnage emblématique des Démons mais pour ma part c’est Piotr qui m’a le plus marquée. Manipulateur sans aucun scrupule, sans aucune morale, il est le type même du fanatique prêt à tout pour ses idées.

Après donc une première moitié où Dostoïevski prend bien le temps de mettre en place ses personnages et ses intrigues, tout finit par s’enchaîner à une vitesse folle dans la seconde moitié et c’est un vrai régal.
J’ai vraiment beaucoup aimé Les Démons, bien plus encore que Crime et châtiment. Je l’ai trouvé plus approfondi, plus riche en réflexions, avec des personnages encore plus forts et plus extrêmes, bref Dostoïevski va beaucoup plus loin dans ce roman qui pour moi est un véritable chef d’œuvre.


lundi 22 juillet 2013

Pulp - Charles Bukowski



Louis-Ferdinand Céline n’est pas mort, il fréquente assidûment une librairie de Los Angeles et semble ne pas avoir vieilli d’un pouce. Pour réparer ce couac du destin, la Grande Faucheuse en personne engage Nick Belane le détective le plus looser de tous les temps. Là dessus, un homme le charge également de retrouver le Moineau Ecarlate. Vous n’avez aucune idée de ce que c’est ? Nick Belane non plus. En parallèle, le voilà également recruté par un mari jaloux afin de prendre sa femme en flagrant délit d’adultère. Mais Nick Belane est le meilleur, il réussira à débarquer en plein milieu des ébats de l’épouse volage avec … son mari… Vous trouvez que ça fait beaucoup ? Eh bien ce n’est pas fini. Ajoutez à ça une inquiétante histoire de monstres venus de l’espace pour prendre possession de notre si belle planète.

Déjanté, loufoque, complètement barré, voilà ce qu’est Pulp, dernier roman du grand Buck. Mais attention, ne vous attendez pas à de la grande aventure. Le résumé est alléchant mais ça reste du Bukowski. Et comme il le dit lui-même, Pulp n’est qu’une parodie de roman policier qu’il dédie à la littérature de gare. C’est tout dire. En conséquence, les péripéties de notre détective en or ne sont pas le plus intéressant.
Ecrit alors qu’il était très malade et se savait condamné, Pulp reflète l’état d’esprit dans lequel se trouvait Bukowski à cette époque de sa vie. L’ombre de la mort si proche plane sur tout le roman et Buck porte un regard d’ensemble acéré sur le sens de la vie. En résultent de nombreux passages assez pessimistes mais pourtant plein de lucidité.

« L’homme est né pour mourir. Impossible de nier l’évidence. On se rattache à tout ce qui passe et on attend. On attend le dernier métro. On attend une paire de gros nibards dans une chambre d’hôtel, une nuit d’août à Las Vegas. On attend que les poules aient des dents. On attend que le soleil baise la lune. Et en attendant, on se raccroche à n’importe quoi. »

« Quelle invention diabolique que les dents ! On s'en sert pour manger. Manger et remanger. Nous sommes vraiment des êtres répugnants, programmés pour nous épuiser, notre vie durant, à accomplir de sordides petites tâches. Se remplir le ventre et lâcher des pets, nous gratter l'échine et nous souhaiter de joyeuses fêtes avec le sourire de circonstance. »

«Depuis le seuil, je jetai un œil sur le club-house. Juste une belle brochette de vieux friqués. Comment avaient-ils fait ? Et de combien d’ailleurs avons-nous besoin ? Car, finalement, toute cette thune, on en fait quoi ? Tous, nous allons casser notre pipe, et néanmoins la plupart d’entre nous s’esquintent la santé à grappiller deux, trois biffetons de plus. Un jeu de débiles. Pouvoir encore enfiler ses chaussures chaque matin que Dieu fait, n’est-ce pas la plus grande des victoires ? »

Bref, on y retrouve bien la patte Bukowski et les éléments qui ont fait son univers, alcool, femmes, mais aussi la littérature avec quelques clins d’œil à ses auteurs préférés comme Fante et bien sûr Céline.
Voilà, 3ème roman que je lis de cet auteur et il m’a encore surprise et conquise.


dimanche 21 juillet 2013

Le ravin - Nivaria Tejera



Nivaria Tejera nous offre un bien joli texte nous décrivant le quotidien d’une famille des îles Canaries pendant la guerre d’Espagne, quotidien vu à travers le regard d’une petite fille, nous faisant part de ses inquiétudes, de ses angoisses, de ses interrogations face aux événements qui viennent bouleverser son petit monde.
Petit à petit, la guerre s’immisce dans cette famille, son père est arrêté puis relâché. L’angoisse qu’il soit à nouveau repris tenaille la petite fille. Et le jour tant craint arrive, la famille n’a plus aucune ressource, la faim et la misère s’installe. Et au-dessus de tout ceci plane l’image effrayante de ce ravin, celui dans lequel on jette les corps des prisonniers exécutés.

Le récit est très touchant, toute en finesse, la plume de Nivaria Tejera est très délicate et poétique mais peut-être un peu trop.
Certains passages m’ont en effet beaucoup gênée, l’auteur part dans des délires qui m’ont vraiment laissée perplexe. J’ai eu beau relire ces passages plusieurs fois, me disant que je ne comprenais rien à la poésie, mais c’est resté vraiment obscur et hermétique pour moi. C’est dommage car ces passages m’ont un peu gâché l’impression d’ensemble. Surtout qu’ils sont censés exprimer les pensées de cette petite fille. Les enfants ont de l’imagination certes mais là ça me paraissait vraiment trop.

« Le ravin a une sentinelle qui éteint tous les yeux. Comme elle ne les arrose pas, ils se dessèchent, papa. Les chouettes, en passant, ne t’ont-elles pas ébloui ? Elles étaient en bois et elles volaient. Qui vient de rire si fort ? Maintenant les enfants n’existent plus. Depuis que la guerre a éclaté, les enfants n’existent plus sous la lune, et je ne serai jamais plus une petite fille. Vois-tu la pluie qui roule ? Quelqu’un applaudit du haut des toits de zinc, du haut de la pluie. Non, ce sont des coups de fouet, des coups de fouet et une idée fixe qui s’ouvre et se ferme comme une bouche entre les mains de grand-père. Grand-père, je comprends mieux pourquoi tu sais tant de choses, pourquoi tu as grandi et tu es devenu si vieux, avec tes rides qui te font ressembler à une grande brûlure. Attention aux ombres ! Attention ! Attention aussi au quignon de pain dur ! Personne ne s’occupe plus de tes pommes de terre. Les radis vont pourrir, les fougères aussi, et nous ne connaîtrons plus les nuits de Noël. Papa. Qui est papa ? Est-ce une fougère, est-ce une aiguille ? »

Ce qui fait que finalement, mon ressenti général sur ce roman est mitigé. J’ai le sentiment d’être passée à côté, que je n’ai pas su en saisir l’essence. C’est frustrant car j’ai vraiment aimé ce contraste entre la douceur du style très en accord avec l’innocence de l’enfance d’une part et la dureté de la guerre d’autre part. Tout comme j’ai aimé la façon de l’auteur de traiter ce thème, le père qui disparaît et laisse sa place au profit d’une guerre qui impose progressivement sa présence dans la vie de cette famille à travers de multiples détails. Le plus touchant est aussi l’abrupte prise de conscience de cette petite fille qui comprend bien qu’on lui vole non seulement les personnes qui lui sont chères mais aussi les plus douces années de sa vie.
Le ravin est donc un roman très beau malgré mes quelques réserves.

vendredi 19 juillet 2013

Purgatoire des innocents - Karine Giebel



Un braquage qui tourne mal mais vraiment mal …et je n'en dirai pas plus.
La 4ème de couverture est un peu trompeuse. Disons que je ne m’attendais pas à ce que j’ai lu et finalement c’est pas plus mal.

Purgatoire des innocents est mon premier roman de Karine Giebel, auteur que l’on m’avait conseillé depuis un bon moment alors que je recherchais des lectures dans le même genre que Stephen King. Et je dois reconnaître que Karine Giebel s’en sort assez bien. Ce roman m’a rappelé Jessie ou encore Misery.
Disons que c’est un bon page-turner, j’avais hâte de savoir ce qui allait se passer et comment tout ça se terminerait. Je voulais de l’angoisse, de la tension, du divertissement et c’est ce que j’ai eu.

Maintenant, c’est un roman qui comporte quelques défauts. D’autres lecteurs ont pointé le manque de crédibilité. C’est vrai, après lecture je reconnais que l’intrigue est un peu énorme mais je ne m’arrête pas à ça. Je ne lis pas ce genre de littérature pour sa crédibilité, et puis c’est un peu comme dans les films, si on s’arrête à ce critère on ne va plus au cinéma.

Non, ce qui m’a gênée le plus c’est que l’auteur sème beaucoup trop d’indices, ça enlève une grande part de surprise et c’est réellement dommage car surprendre le lecteur est quelque chose que j’attends beaucoup de ce genre de livres. Je n’aime pas deviner à l’avance ce qu’il va se passer et dans ce roman, beaucoup trop de rebondissements sont facilement prévisibles.
Je n’ai pas compris non plus l’intérêt des chapitres (très courts) consacrés à la vie des deux frères ou encore ceux consacrés à la réaction des parents. J’ai trouvé que ça n’apportait strictement rien de plus au récit.

J’ai trouvé le personnage de Patrick vraiment très bien construit. Il m’a d’ailleurs beaucoup rappelé un autre Patrick de la littérature américaine et j’ai beaucoup apprécié le bras de fer psychologique entre les deux fortes têtes du roman qui, pour moi, a été l’intérêt principal du livre.
Les scènes « sensibles » ne sont pas décrites en détails mais juste suggérées.
La fin est par contre très bien faite, très émouvante, elle m’a touchée au point de verser une petite larme ( bon il faut dire aussi que j’ai la larme facile).

J’ai donc passé un bon moment de lecture. Je ne suis peut-être pas très objective pour critiquer ce livre, ce n’est pas un genre que je lis souvent, je le fais quand j’ai besoin de « débrayer » un peu. Je ne suis donc pas une lectrice de thrillers avertie et exigeante. Tant que j’obtiens ce que je veux, je suis satisfaite et ça a été le cas ici. En tout cas, pour mes prochains besoins de « débrayage », je saurai vers quel auteur me tourner.

mercredi 10 juillet 2013

Souvenirs d'un pas grand-chose - Charles Bukowski



Encore Bukowski ? Eh oui, il faut croire que j’ai eu un coup de foudre littéraire.
Je poursuis donc ma découverte de cet incroyable auteur avec Souvenirs d’un pas grand-chose, roman autobiographique retraçant l’enfance et l’adolescence de Charles Bukowski alias Henry Chinaski.
Ce que j’avais soupçonné dans Journal d’un vieux dégueulasse se confirme donc ici. C’est un récit très touchant que nous confie Bukowski, beaucoup plus soft, les âmes sensibles peuvent se rassurer : point d’attentat aux bonnes mœurs cette fois-ci (ou alors juste un peu). Ce roman explique et donne sens à quelques-unes des nouvelles du Journal d’un vieux dégueulasse qui n’en prennent qu’une dimension encore plus forte.

Récit touchant donc et même bouleversant, on y comprend comment l’auteur s’est forgé sa personnalité et son caractère.
Il nous dévoile sa découverte de l’alcool et du sexe, initiée par des défis de gamin et des interrogations de petit garçon tout à fait classiques et porte un regard critique sur la société, d’abord restreinte à sa famille et son environnement scolaire puis élargie de façon progressive et plus globale lorsqu’il entre dans l’adolescence puis la vie active.

L’apprentissage de la dureté de la vie, le petit Henry l’a commencé très tôt. Et il se rend bien compte que l’injustice fait partie régnante de cette société dans laquelle il vit. Ne recevant rien d’autrui, il n’accepte plus qu’on exige quoique ce soit de lui. Il trouve peu à peu dans l’alcool réconfort et oubli de cette existence qui le déçoit tant. Existence quasiment toute tracée pour tout le monde, le même schéma classique famille-travail dont la plus horrible des représentations est incarnée par son père, modèle à ne pas suivre.
On assiste aussi à la genèse d’un écrivain : ses premiers contacts avec l’écriture et la lecture, les ouvrages qui l’ont marqué ( et que je vais m’empresser de lire à mon tour)…

Bref, Souvenirs d’un pas grand-chose est un texte très émouvant, parfois dur et parfois bourré d’humour. Certains passages sont à mourir de rire ( comme lorsqu’un camarade lui explique comment se font les bébés ou encore lorsque sa grand-mère tente de le soigner de son acné), d’autres suscitent la colère ou encore la tristesse. Parmi les meilleurs sont ceux où Bukowski parle vrai, nous jette au visage ce qu’il pense vraiment du système, un système absurde que tout le monde semble suivre aveuglément et dont il cherche à s’échapper.
C’est le roman d’une demi-vie ( car la suite est narrée dans Factotum) désabusée avec tout ce que cela peut comporter. On voit Bukowski sous un autre jour et il n’en devient que plus attachant encore.

« C'était dur à croire. La récré une fois finie, j'allai m'asseoir en classe et je réfléchis à tout ça. Ainsi donc, ma mère, elle avait un trou et mon père une bite qui crachait du jus. Mais comment pouvaient-ils avoir des trucs pareils et continuer à se balader comme si tout était normal ? On parle de choses et d'autres, on fait ça et on n'en dit rien à personne ? J'eus vraiment envie de dégueuler lorsque je songeai que c'était le jus de mon père qui m'avait fait démarrer. »

« La route que j'avais devant moi, j'aurais presque pu la voir. J'étais pauvre et j'allais le rester. L'argent, je n'en avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L'idée d'être quelque chose m'atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir. Devenir avocat, conseiller, ingénieur ou quelque chose d'approchant me semblait impossible. Se marier, avoir des enfants, se faire coincer dans une structure familiale, aller au boulot tous les jours et en revenir, non. Tout cela était impossible. Faire des trucs, des trucs simples, prendre part à un pique-nique en famille, être là pour la Noël, pour la Fête nationale, pour la Fête des Mères, pour... les gens ne naissaient-ils donc que pour supporter ce genre de choses et puis mourir ?»

mardi 9 juillet 2013

Journal d'un vieux dégueulasse - Charles Bukowski



Les gens ont parfois besoin qu’on leur mette une grande claque dans la trogne et faut reconnaître que le grand Buko excelle en la matière.
D’entrée de jeu, rien qu’avec le titre, il nous met dans l’ambiance. Ici pas de chichis, Bukowski a des choses à dire et à raconter et il n’y va pas par quatre chemins. Il donne dans le brut de décoffrage, dans le cru et le vulgaire. Amis des Bisounours, circulez, y a rien à voir !
Connaissant cette réputation, on peut hésiter à se lancer dans l’œuvre de Bukowski et ça a été mon cas. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que Bukowski, ce n’est pas que des histoires de fesses, de beuveries et de courses de chevaux.

Journal d’un vieux dégueulasse est un recueil au style varié de très courtes nouvelles ou chroniques parues à l’origine dans un journal et incluant parfois des pages dédiées à quelques aphorismes ou encore des pages entières de dialogue non marqué.
On y croise le célèbre Neal Cassady mais aussi Jack Kerouac ainsi que d’autres personnages réputés, à l’image de Buko lui-même, pour leur anti-conformisme.
Bukowski y mêle la fiction et l’autobiographie mais y glisse aussi ses propres réflexions, son propre regard sur la société qui nous entoure mais aussi sur l’humanité dans son ensemble. Un regard dur et acéré mais tellement lucide. Il touche à tous les sujets, politique, religion, comportement humain, Bukowski est un anthropologue à sa façon.

Parmi donc quelques nouvelles fictionnelles, tantôt donnant dans le roman noir, tantôt dans le fantastique loufoque ( vous avez déjà vu un ange jouer au base-ball ?), et d’autres nouvelles inspirées de sa propre vie ou de celle de ses amis, Bukowski nous offre des passages d’une grande force, faisant éclater la vérité telle qu’elle est. Est-ce qu’il exagère ? Oui un peu et délibérément. Dans l’émission Apostrophe où il avait fait un passage remarqué, il explique clairement que la façon dont les philosophes et autres intellectuels s’adressent au public est tellement ennuyeuse qu’ils ont beau dire des vérités, personne ne les écoute. Bukowski, lui, garnit bien son hameçon avant de le lancer à l’eau. Et ça marche ! En tout cas, moi j’ai mordu.

J’ai découvert un auteur qui, au-delà de sa réputation sulfureuse et de ses penchants pour l’alcool et le sexe, est un homme doté d’une certaine sensibilité. Dans certaines des nouvelles, il dévoile une partie de son enfance, de ses mauvaises expériences dans la vie active ou avec les femmes. Il y exprime une certaine forme de rage mais aussi d’impuissance, un sentiment  de fatalité et de renoncement qui s’illustre concrètement par ce qu’il appelle la position de l’homme frigorifié.

A côté de ça, c’est vrai que pour le lire, il vaut mieux ranger sa pudeur et son romantisme au placard. Les scènes de sexe abondent et sont décrites crûment sans artifices, inutile d’embellir ce qui ne l’est pas. Bukowski va même loin dans le scabreux : nécrophilie, scatophilie, faut avoir les tripes bien attachées !

Bukowski m’aura donc profondément marquée par son côté provocateur, son style percutant, son refus des conventions ( au point d’en volontairement ignorer les majuscules en début de phrase) et par son discours plein de bon sens et de perspicacité mais aussi surprise par son côté touchant et parfois plein d’humour.
J’ai découvert un très grand écrivain, je suis plus qu’emballée et j’ai bien l’intention de me jeter sur ses autres écrits.


vendredi 5 juillet 2013

Max - Sarah Cohen-Scali



Roman jeunesse qui commence à connaître un certain succès, Max a l’avantage d’aborder un sujet difficile, peu connu et rarement traité, celui du programme Lebensborn ayant pour objectif la fabrication de la race aryenne parfaite représentante du IIIème Reich et appelée à dominer le monde.
Sarah Cohen-Scali donne alors la parole à Max que l’on suit depuis sa naissance au sein d’un Heim, sorte d’usine à bébés nazis jusqu’à l’arrivée des alliés à Berlin. Relaté à la première personne, le récit place son lecteur dans la tête du jeune Max lui faisant profiter de toutes ses pensées. Le ton est froid, dénué de sentiments et parfois vulgaire.

Si le procédé est sympathique, il comporte néanmoins quelques défauts. Sarah Cohen-Scali prend le parti de faire de son personnage un être insensible et ce, dès ses premiers instants. Ce qui amène l’idée d’un être foncièrement mauvais par nature. J’avais plutôt imaginé la progressive influence des idées nazies sur un jeune esprit innocent et la lente formation d’une personnalité agressive et cruelle mais ce n’est pas le cas. Le gène du mal semble être implanté dès la conception qui n’est ni plus ni moins qu’un viol programmé.

Les dessous du processus Lebensborn nous sont donc progressivement dévoilés dans toute leur monstruosité : viols, assassinats des enfants non conformes et des mères récalcitrantes, enlèvement des enfants dans les pays conquis. Car les nazis ne se sont pas contentés de leurs propres bébés fabriqués, des opérations étaient aussi orchestrées pour aryaniser les enfants étrangers.

Max devient rapidement le prototype parfait de la race suprême et bénéficie de traitements de faveur. Il intègre les écoles des jeunesses hitlériennes et c’est lors de son passage dans l’une d’elle qu’il croise la route de Lukas. Ils ne se quitteront plus jusqu’à la défaite allemande.
Là aussi, l’auteur détaille la vie quotidienne de ces écoles de l’élite nazie chargées de faire de ces chères têtes blondes les futurs cadres des SS et de l’armée. La fin du récit nous plonge dans un Berlin en décombres où le peu d’habitants qui restent tentent de survivre.

Max est donc un roman intéressant même si j’ai déploré la vulgarité du ton. Etait-ce pour exacerber le caractère violent et fanatique du personnage ? Probablement. J’ai trouvé aussi notre bambin étrangement perspicace. Il comprend aisément des choses sans qu’on les lui explique, ce que j’ai trouvé difficilement crédible quand on pense aux couleuvres Père Noël et petite souris qu’on fait avaler aux enfants. L’auteur lui attribue des pensées et des raisonnements qui sont peu compatibles avec ceux d’un enfant de 5-6 ans quand bien même il serait surdoué.

Certains passages sont un peu répétitifs voire téléphonés. En fait, j’ai pris bien plus de plaisir à ma lecture à partir de la deuxième moitié et de la rencontre de Max avec Lukas ( personnage inspiré de Solomon Perel ).

Malgré ses quelques défauts, j’ai grandement apprécié cette lecture. L’ouvrage est documenté, clair, écrit dans un style fluide. J’ai apprécié la note de l’auteur précisant ses sources et la part de romancé et de véridique dans son roman.
Au final, l’adulte n’y apprendra peut-être pas grand chose ( quoique …) mais je pense que ce roman reste très instructif pour les ados.

Pour continuer sur le sujet :
Un film sur les Napolas ( les écoles d’élite des jeunesses hitlériennes ) :
http://www.youtube.com/watch?v=rn9togC_FY8

mardi 2 juillet 2013

Cartographie des nuages ( Cloud Atlas ) - David Mitchell



Après une grosse panne de lecture de près d’un mois, je reviens enfin à mes amours. Et pour les retrouvailles, j’ai choisi Cartographie des nuages de David Mitchell et bien m’en a pris car je me suis régalée !

De nombreuses critiques ont déjà loué l’originalité de la construction de ce roman mais il faut aussi souligner la cohérence de l’ensemble. David Mitchell a magistralement bien mené sa barque et il m’a bluffée non seulement par l’intelligence de son propos mais aussi par ses capacités à changer de genre et de style et tout ça de façon brillante.

Cartographie des nuages est une composition de 6 histoires qui semblent n’avoir rien en commun au premier abord mais qui sont toutes liées entre elles par une thématique commune, par certains éléments et par le fait qu’elles s’insèrent les unes dans les autres.

En lisant Cartographie des nuages, on ne lit pas un roman mais six et tous de genre différent.
Ainsi, vous aurez la joie de vous plonger dans un roman d’aventure maritime du XIXème siècle pour enchaîner avec un roman sentimental classique de l’entre-deux-guerres façon Stefan Zweig. Un thriller politico-industriel qui rappelle Erin Brockovich vous attend au tournant pour vous emmener ensuite en maison de retraite pour un roman plus contemporain s’inspirant du Misery de Stephen King à la sauce humoristique. C’est un roman SF dystopique qui vous accueille ensuite pour aboutir enfin à un récit post-apocalyptique qui m’a fait penser un peu au Déchronologue de Beauverger.

Des genres différents donc mais aussi des styles différents. David Mitchell utilise tous les outils possibles : le Journal, les mémoires, le genre épistolaire, la narration classique, l’interrogatoire, le discours oral etc… Et il adapte le langage à chacun : tantôt raffiné, tantôt prétentieux, ici humoristique et là jargonnesque. Un véritable exercice de style dont l’auteur se sort avec brio.

Bien qu’ils semblent totalement aux antipodes les uns des autres, chaque récit suit la même logique. David Mitchell utilise la carte de la réincarnation pour nous montrer à quel point l’Histoire se répète et à ça, son explication tient en une maxime de Hobbes «  l’homme est un loup pour l’homme ».
L’auteur nous en donne l’illustration à travers un même schéma : le rapport dominant-dominé, il nous démontre les mécanismes du pouvoir à travers plusieurs cas de figure : la colonisation des occidentaux et leur prétendue supériorité sur les autres « races », le pouvoir et l’emprise de l’amour et du jeu de séduction, la manipulation à des fins de réussite et de profit personnel, le pouvoir des grands lobbies industriels, la domination des plus jeunes sur les anciens jugés inutiles et encombrants, le pouvoir des peuples disposant des richesses et de la technologie sur ceux qui n’ont rien etc…
Chaque récit met donc en scène une ou plusieurs de ces formes de pouvoir et dans chaque récit, un ou plusieurs personnages tentent de se rebeller contre cet ordre établi et qui semble immuable et destiné à se répéter indéfiniment. Dans chaque exemple, toute tentative pour créer une situation d’égalité entre les hommes que ce soit par la religion ou par les lois semble vouée à l’échec. La nature humaine serait ainsi faite qu’elle se doit de dominer et d’écraser les plus faibles. Mais David Mitchell préfère conclure sur une note plus optimiste.

En revanche, ceux qui n’apprécient pas d’être interrompu en pleine intrigue risquent de grincer des dents. Le procédé, un peu façon Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino, peut être frustrant mais pour ma part, j’ai adoré. Et les nombreuses références culturelles que ce soit cinématographiques, artistiques et littéraires sont très appréciables.
Donc voilà un roman brillamment orchestré, toute en intelligence. Les pages défilent et on ne s’ennuie pas un instant. L’impression de lire six romans dans des registres si différents est très agréable et motivante. Le propos est cohérent et même si certains rebondissements sont largement prévisibles, j’ai passé un excellent moment de lecture riche et divertissant.

Je vais essayer de voir le film prochainement mais j'ai assez peur d'être déçue ...